Alhazen: La perception du beau dans al-Manâzir. In: Ostium, roč. 14, 2018, č. 4.
Alhazen (965-1040), scientifique et philosophe médiéval de langue arabe, décrit dans ce court chapitre la formation de la perception du beau à travers les modalités de la réception par les propriétés des phénomènes. Il s’agit d’un rare exemple de description médiévale d’une esthésiologie visuelle et d’une kinesthésie de la vision, celle-ci pouvant être considérée comme faculté de connaissance pré-conceptuelle. Ainsi, dans ce chapitre, Alhazen entreprend d’analyser la fonctionnalité de l’œil comme lieu de la donation visuelle lors de la perception qui s’opère en fonction de la forme, de la position, de la proportion et de l’harmonie.
Cette traduction est dédiée à la mémoire de Gérard Jorland, Professeur et ami, chez qui la vision était un problème majeur de la pensée.
Seyed Reza Rokoee Haghighi
À propos du beau perceptible par le sens de la vue : la vue le perçoit par la perception de chacune des propriétés particulières dont nous avons montré comment la vue les perçoit. Car chacune de ces propriétés réalise séparément un des types de beauté et elles réalisent d’autres types de beauté lorsqu’elles sont en conjonction les unes avec les autres. Car la vue ne perçoit la beauté que des figures d’objets visibles qui lui sont perceptibles ; et ces figures sont composées des propriétés particulières qui ont été montrées en détail ; et la vue perçoit les figures par sa perception de ces propriétés ; et, par conséquent, elle perçoit la beauté par sa perception de ces propriétés.
Ainsi les différents types de beauté que la vue perçoit de la figure des objets visibles sont nombreux : les uns ont pour cause l’une des propriétés particulières de la figure, d’autres sont causés par plusieurs propriétés particulières de la figure, pour d’autres encore la cause est une conjonction des propriétés entre elles, et non par les propriétés elles-mêmes et enfin la cause des autres est composée des propriétés et de leur harmonie. La vue perçoit chacune de ces propriétés dans chacune des figures individuellement, et elle les perçoit en composition et elle perçoit leur conjonction et leur harmonie. Ainsi la vue perçoit le beau selon différentes manières qui se réduisent toutes à la perception des propriétés particulières.
Que ce soit ces propriétés particulières qui réalisent le beau – et par « réaliser le beau » je veux dire qu’ils réalisent dans l’âme un effet tel que la figure apparaît comme belle – cela sera évident d’après une brève considération. Car la lumière réalise le beau et c’est ainsi que le soleil, la lune et les étoiles paraissent beaux, sans qu’il y ait en eux une cause qui les fasse paraître beaux et attirants, autre que leur rayonnement. Ainsi, la lumière par elle-même réalise le beau.
Mais la couleur aussi réalise le beau. Ainsi, chacune des couleurs vives comme le violet, le pourpre, le vert, le rose, le rouge sa’wī attirent l’observateur et font plaisir à l’œil. De même quand il s’agit de la sensation du beau donnée par les objets fabriqués tels que les vêtements, les tapis, et les ustensiles et la sensation du beau donnée par les fleurs, les branches fleuries et les jardins. Donc, la couleur en tant que propriété particulière réalise le beau.
La distance aussi réalise l’acte du beau par accident. Ainsi certaines belles figures ont des marques, des rides et des pores qui peuvent les gâter et perturber leur beauté. Mais une fois éloignées de la vue, ces propriétés disparaissent et la belle figure apparaît. C’est aussi le cas de nombreuses belles figures qui ont quelques raffinements au travers de tracés minutieux, de contours et d’ordonnancement des propriétés. Un grand nombre de ces propriétés ne sont pas visibles à l’œil nu ; c’est dans la proximité qu’apparaît à l’œil leur agrément et que la beauté de la figure apparaît. Ainsi, le fait d’augmenter ou de diminuer la distance peut manifester la beauté. Donc la distance individuellement et en soi réalise le beau.
La position réalise le beau, et de nombreuses choses qui paraissent belles ne le paraissent qu’en raison de leur ordre et de leur position. Une belle écriture également est considérée comme telle uniquement en raison de l’ordonnancement. Car la beauté de l’écriture est due uniquement à la rectitude des formes des lettres et à leur composition entre elles, ce qui fait que quand la composition et l’ordonnancement des lettres ne sont pas réguliers et proportionnés, l’écriture n’est pas belle, même si la forme des lettres individuelles est correcte et droite. En fait, l’écriture est considérée comme belle quand sa composition est régulière, même si les lettres qu’elle contient ne sont pas parfaitement droites. De même, de nombreuses figures d’objets visibles sont ressenties comme belles et attirantes uniquement en raison de la composition et de l’ordonnancement de leurs propriétés entre elles.
La corporéité réalise le beau et ainsi on peut être attiré par la beauté des corps accomplis des êtres humains et de nombreux animaux.
La forme réalise le beau, ainsi on est attiré par la beauté de la lune croissante. Les belles figures des êtres humains et de beaucoup d’animaux, d’arbres et de plantes ne proviennent que de leurs formes et des formes des parties de leur figure.
La taille réalise le beau. C’est ainsi que la lune est plus belle qu’aucune étoile et que les étoiles plus grandes sont plus belles que les plus petites.
La dispersion réalise le beau, ainsi les étoiles dispersées sont plus belles que les nébuleuses et plus belles que la Voie Lactée. C’est ainsi aussi que les lumières et les bougies dispersées sont plus belles que le feu continu et accumulé. C’est aussi la raison pour laquelle les branches fleuries et les fleurs dispersées dans les jardins sont plus belles que quand elles sont rassemblées et entassées.
La continuité réalise le beau. Ainsi du jardin touffu dans lequel les plantes apparaissent plus belles que celles qui sont éparses et discontinues. Si le jardin est attirant en raison de ses couleurs, la continuité le rend encore plus beau. La beauté supplémentaire de ces jardins ne se réalise que grâce à la continuité.
Le nombre réalise le beau. Ainsi les parties du ciel avec beaucoup d’étoiles sont plus belles que celles où il y a moins d’étoiles. C’est aussi le cas de la beauté des lumières et des bougies lorsqu’elles sont réunies en grand nombre dans un seul endroit.
Le mouvement réalise le beau. Ainsi de la beauté de la danse, et des mouvements du danseur ainsi que de nombreux gestes et mouvements de l’homme dans ses paroles et dans ses actes.
Le repos réalise le beau. Ainsi de la beauté qu’on trouve dans le maintien et le silence.
La rudesse réalise le beau. Ainsi on admire la beauté de nombreux vêtements et tapis grossiers. C’est aussi le cas pour de nombreux objets d’orfèvrerie qui sont beaux en raison de leur aspect rugueux et brut.
Le lisse réalise le beau. Ainsi on admire la surface lisse des vêtements et des ustensiles.
La transparence réalise le beau. Ainsi on admire la beauté des bijoux transparents et la transparence des verreries.
L’opacité réalise le beau car les couleurs, les lumières ainsi que les formes et les lignes et toutes les belles caractéristiques qui apparaissent dans les figures des objets visibles ne sont saisissables par la vue qu’en raison de leur opacité.
L’ombre fait apparaître le beau. Ainsi de nombreuses figures visibles ont de légères marques, rides ou pores qui les gâtent et cachent leur beauté. Ainsi, lorsque ces objets sont placés dans la lumière du soleil ou dans d’autres lumières fortes, leurs marques et leurs pores sont visibles, entraînant ainsi la disparition de leurs belles caractéristiques. Mais, placées dans l’ombre ou dans des lumières faibles, leurs belles caractéristiques se manifestent du fait de la disparition de ces marques, de ces rides ou de ces pores et de leur laideur. De même, les couleurs de l’arc-en-ciel qui apparaissent dans les plumes des oiseaux et dans l’espèce appelée dinde, ne deviennent visibles que dans l’ombre ou dans des lumières tamisées. Mais, placées au soleil ou dans d’autres lumières fortes, les couleurs de l’arc-en-ciel et les belles caractéristiques visibles dans l’ombre et la lumière tamisée deviennent invisibles.
L’obscurité fait apparaître le beau. Et c’est ainsi que les étoiles se manifestent seulement dans l’obscurité. Ainsi aussi la beauté des lanternes, des bougies et des feux apparaît uniquement dans la noirceur de la nuit et les endroits obscurs ; ils n’ont pas leur beauté dans la lumière du jour et les lumières fortes. Les étoiles dans les nuits obscures sont beaucoup plus belles que dans les nuits où il y a la lune.
La ressemblance réalise le beau. Ainsi dans les paires d’organes d’un animal il n’y a de beau que s’il y a une ressemblance. En effet, deux yeux qui sont différents, l’un arrondi et l’autre rectangulaire et long, ne donnent qu’une extrême laideur. On les trouvera également laids si l’un est noir et l’autre bleu, de même si l’un est plus grand que l’autre. Et, encore une fois, si une joue est enfoncée et l’autre bombée, les deux seront extrêmement laides. De la même façon, les sourcils sont très laids si l’un est épais et l’autre étroit et ils auront aussi l’air laid si l’un est long et l’autre court. En conséquence, toutes les paires d’organes d’animaux ne sont beaux que lorsqu’il y a ressemblance. De même les traits et les lettres d’une écriture ne sont beaux que si les lettres et éléments identiques sont ressemblants.
La dissemblance réalise le beau. C’est le cas des formes des différents organes des animaux où il n’y pas de beau sauf s’il y a une dissemblance. Ainsi un nez serait extrêmement laid si son épaisseur était égale du début à la fin. Sa beauté n’est due qu’à la dissemblance entre ses deux bouts et à sa forme conique. De même, les sourcils ne sont beaux que s’ils sont plus minces au bout qu’ailleurs. En examinant tous les organes des animaux, on trouvera que leur beauté est due à la dissemblance des formes de leurs parties. De même, les tracés et les lettres d’une écriture ne paraîtront pas beaux si leurs parties ont la même épaisseur. Car les extrémités des lettres et les extrémités de leurs courbes profondes ne sont belles que lorsqu’elles sont étroites, c’est-à-dire plus étroites que les autres parties des lettres. Une écriture serait très laide si ses lettres étaient d’épaisseur égale et de même forme à la fin, au milieu, au début, aux jonctions et aux ligatures. En conséquence, la dissemblance réalise le beau dans de nombreuses figures des objets visibles.
Il est donc clair d’après ce que nous avons dit que chacune des propriétés particulières visibles que nous avons montrées en détail réalise le beau par elle-même. Si on les regarde de près, on constatera que chacune de ces propriétés réalise la beauté dans de nombreuses situations. Nous n’en avons mentionné que quelques-unes à titre d’exemple, de façon à ce que l’on puisse inférer à partir de ces exemples dans d’autres cas et afin qu’ils puissent être utilisés comme guide d’analyse de cas similaires par qui voudra étudier la manière dont ces propriétés affectent les belles figures. Ces propriétés cependant ne réalisent pas la beauté dans toutes les situations et aucune d’entre elles ne la réalise dans toutes les figures dans lesquelles elle se produit, mais dans certaines figures plutôt que dans d’autres. La grandeur par exemple ne réalise pas la beauté dans tous les corps d’une grandeur considérable. Et la même couleur ne réalise pas la beauté dans tous les corps dans lesquels elle existe. De même, toute forme ne réalise pas la beauté. Ainsi, chacune des propriétés particulières que nous avons mentionnées peuvent réaliser la beauté individuellement mais dans certaines situations plutôt que dans d’autres et dans certaines conditions à l’exclusion d’autres.
Ces propriétés réalisent aussi le beau en étant jointes l’une à l’autre. Car une belle écriture est celle dont les lettres ont de belles formes et sont composées de belle façon les unes par rapport aux autres – c’est la beauté parfaite pour une écriture. Ainsi, une écriture qui combine ces deux propriétés est plus belle que celle qui a l’une sans l’autre. La beauté parfaite dans une écriture ne provient que de la conjonction de la forme et de la position.
De même, les couleurs et les tracés vifs et purs sont plus beaux quand ils sont régulièrement et uniformément ordonnés que quand ils n’ont pas d’ordre régulier. Aussi la beauté peut apparaître dans les figures des individus et des animaux en raison de la combinaison en eux de propriétés particulières. Car des yeux de taille moyenne et en forme d’amande sont plus beaux que des yeux qui ont seulement l’une ou l’autre de ces propriétés. De même des joues qui sont à la fois plates et de couleur délicate sont plus belles que des joues plates mais pâles ou que des joues renflées et de couleur délicate. Aussi la rondeur du visage et la couleur délicate sont plus belles ensemble que quand l’une va sans l’autre. De même, une petite bouche avec des lèvres fines et de taille moyenne est plus belle qu’une petite bouche avec les lèvres épaisses ou une large bouche avec des lèvres fines. Cet état des choses est donc très certain.
Ainsi si l’on prend en compte l’ensemble des belles figures dans tous les objets visibles, on verra que la conjonction des propriétés particulières réalise en eux des types de beauté qu’aucune de ces propriétés n’apporte seule. Et la plupart du beau perçu par le sens de la vue consiste en la combinaison de ces propriétés entre elles. Ainsi, les propriétés particulières que nous avons mentionnées réalisent la beauté individuellement et en combinaison.
La beauté peut consister en quelque chose d’autre que l’une des choses que nous avons mentionnées, c’est-à-dire en la proportionnalité et l’harmonie. Car les différents organes et parties qui composent les figures peuvent différer en ce qui concerne la forme, la taille ou la position ou en fonction de leur contiguïté ou de leur discontiguïté, et ainsi plusieurs propriétés particulières peuvent se produire dans chacune des figures sans que ces propriétés soient toutes proportionnées ou harmonieuses. Car toute forme n’est pas belle avec toute autre forme, ni toute taille avec toute autre taille, ni toute position avec toute autre position. Encore, toute forme n’est pas belle dans chaque taille ni toute taille dans chaque position, mais chacune de ces propriétés est plutôt proportionnée à certaines autres propriétés et disproportionnée à d’autres, et chaque grandeur est proportionnée à certaines autres grandeurs et disproportionnée à d’autres. Par exemple, un nez aquilin ne paraît pas beau avec des yeux enfoncés ni de grands yeux avec un nez excessivement grand, de même un front bombé avec des yeux enfoncés ou un front bas avec des yeux proéminents ne paraissent pas beaux. Ainsi chaque organe a une ou des formes qui rendent belle sa figure et chaque forme de chaque organe ne s’accorde qu’avec certaines formes des autres organes, à l’exclusion des autres, et la beauté de la figure résulte de la combinaison de formes qui sont proportionnées aux organes qui la composent.
La même chose s’applique à la taille, à la position et à l’ordre des organes. Car les grands yeux sont beaux quand leur belle forme se combine avec un nez aquilin dont la taille modérée est proportionnée à celle des yeux. En outre, la forme en amande des yeux et la douceur de cette forme, même lorsque les yeux sont petits, paraissent belles quand elles sont combinées dans un visage au nez étroit de la forme et de la taille appropriées. De même, les lèvres minces sont belles dans une petite bouche, pourvu que la petitesse de la bouche soit proportionnée à la minceur des lèvres – je veux dire qu’elles ne devraient pas être extrêmement minces quand la bouche n’est pas très petite, mais plutôt la bouche doit être modérément petite et les lèvres minces en plus d’être proportionnées à la taille de la bouche. De même, un visage paraît beau quand sa largeur est proportionnée à la taille des organes qui le composent – je veux dire que le visage ne devrait pas être très large quand ses organes sont petits, c’est-à-dire disproportionnés à la taille du visage dans son ensemble. Car lorsque le visage est trop grand tandis que ses organes sont petits et disproportionnés par rapport à sa taille, il ne paraît pas beau même si les organes sont d’une grandeur proportionnée entre eux et que leurs formes sont belles. En outre, un visage paraîtra laid s’il est petit et étroit alors que ses organes sont grands et disproportionnés par rapport à sa taille. Mais le visage paraîtra beau si les organes sont proportionnés les uns aux autres et à la largeur du visage, même si chaque organe n’est pas en lui-même d’une belle forme ou d’une belle taille.
La proportionnalité seule peut réaliser la beauté, pourvu que les organes ne soient pas en eux-mêmes laids même s’ils n’ont pas une parfaite beauté. Ainsi, quand une figure combine la beauté des formes de toutes ses parties et la beauté de leurs grandeurs et de leur composition, ainsi que la proportionnalité des parties au regard de la forme, la taille, la position et toutes les autres propriétés requises par la proportionnalité, et que, de plus, les organes sont proportionnés à la forme et à la taille du visage dans son ensemble, c’est là la beauté parfaite. Une figure qui a certaines de ces propriétés à l’exclusion des autres sera considérée comme belle selon ce qu’elle possède comme belles propriétés.
L’écriture également n’est pas belle à moins que ses lettres ne soient proportionnées en ce qui concerne leurs formes, grandeurs, positions et ordre. Et la même chose est vraie de tous les objets visibles qui sont des combinaisons de différentes parties.
Donc lorsqu’on étudie les belles figures dans toutes sortes d’objets visibles, on constatera que la proportionnalité réalise en eux une beauté autre que celle que réalise par elle-même l’une ou l’autre des propriétés particulière, et autre que celle que réalise la conjonction des propriétés particulières existant ensemble dans la figure. Lorsque les beaux effets réalisés par la conjonction de propriétés particulières sont examinés, on constate que la beauté due à cette conjonction n’est que le résultat de la proportionnalité et de l’harmonie existant entre ces propriétés conjointes. Car la beauté ne se réalise pas quand ces deux propriétés particulières, ou d’autres, se rejoignent mais seulement dans certaines figures plutôt que d’autres, en raison de la proportion qui apporte de l’harmonie aux deux propriétés ou plus qui sont combinées dans la figure. La beauté est donc réalisée par les propriétés particulières mais son achèvement et sa perfection sont uniquement dues à la proportionnalité et à l’harmonie qui peut exister entre les caractéristiques particulières.
Il ressort clairement de tout ce que nous avons dit que la beauté des figures perçues par le sens de la vue est uniquement due aux propriétés particulières visibles ou à leur conjonction ou à leur proportionnalité. Car la vue perçoit les propriétés particulières que nous avons évoquées, soit individuellement soit conjointement, tout en percevant les figures qu’elles composent. De sorte que lorsque la vue perçoit un objet visible dans lequel il existe une des propriétés particulières mentionnées ci-dessus qui réalise individuellement la beauté, et que la vue contemple cette propriété en elle-même, à l’issue de la contemplation la figure de cette propriété se présentera à la conscience et la faculté de jugement [discernement] percevra la beauté de l’objet en possession de cette propriété. Car la figure de tout objet visible est composée de plusieurs des propriétés que nous avons montrées en détail. Quand la vue perçoit l’objet sans distinguer les propriétés qui s’y trouvent, et si l’une de ces propriétés est telle qu’elle peut réaliser la beauté dans l’âme, alors la vue en contemplant cette propriété la percevra d’elle-même et de manière individuelle. Et cette perception de la propriété individuelle se produira dans la conscience. Et quand la perception de la figure de la propriété qui réalise la beauté se produit dans la conscience, la faculté de jugement [discernement] percevra sa beauté, percevant ainsi la beauté de l’objet.
De plus, quand la vue perçoit un objet dont la beauté est composée de la conjonction des propriétés et de leur proportionnalité les unes par rapport aux autres, et qu’elle contemple l’objet en distinguant et en percevant les propriétés qui produisent la beauté en étant jointes ou en étant proportionnées les unes aux autres, et que cette perception se produit dans la conscience et que la faculté de jugement [discernement] compare ces propriétés les unes avec les autres, alors cette faculté percevra la beauté de l’objet qui consiste en la conjonction des propriétés harmonieusement combinées. La vue perçoit donc la beauté des objets visibles en reliant ces propriétés les unes aux autres de la manière que nous avons montrée en détail.
La perception de la laideur
La laideur est [une propriété de] la figure dont toutes les belles propriétés sont absentes. Car il a été montré précédemment que les propriétés particulières réalisent le beau mais cette réalisation ne se fait pas dans toutes les situations ni dans toutes les figures mais dans certaines plutôt que d’autres. La proportion elle non plus n’existe pas dans toutes les figures mais dans certaines plutôt que d’autres. Ainsi, la beauté sera absente des figures dans lesquelles aucune propriété particulière ne produit la beauté, que ce soit de façon individuelle ou en conjonction, ou dans lesquelles il n’existe aucune proportionnalité entre les parties. À ce moment-là, quand il n’y a rien de beau il ne reste que de la laideur. Ainsi, la laideur de la figure est l’absence de beauté en elle. Il peut exister dans une figure unique à la fois des propriétés belles et laides, et dans ce cas la vue percevra leur beauté et leur laideur respective une fois qu’elle aura contemplé et distingué les propriétés de la figure. Mais la vue percevra la laideur de la privation de beauté en percevant des figures dont toutes les belles caractéristiques sont absentes. Et c’est ainsi pour toutes les choses laides.
Kitāb al-Manāẓir : al-Maqālāt l, 2, 3 fī al-ibṣār ʻalá al-istiqāmah / li-al-Ḥasan ibn Haytham ; ḥaqqaqahā wa-rājaʻahā ʻalá al-tarjamah al-Lātīnīyah ʻAbd al-Ḥamīd Ṣabrah ; (al-Kuwayt : al-Majlis al-Waṭanī lil-Thaqāfah wa-al-Funūn wa-al-Ādāb, Qism al-Turāth al-ʻArabī, 1983) ; (al-Silsilah al-turāthīyah ; 4), p. 307-316
Traduit de l’arabe par Seyed Reza Rokoee Haghighi.
Cette traduction a été réalisée grâce au Programme national de bourses de la République slovaque, elle s’intègre dans le cadre de la recherche, menée à l’Institut de Philosophie de l’Académie Slovaque des Sciences, intitulée « Phénoménologie de la vision et de la morphologie : la perspective et lumière chez Alhazen et la transition entre Fantasia et jugement chez Husserl ».
Seyed Reza Rokoee Haghighi, PhD.
Filozofický ústav SAV
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