La question de l’animal et de l’animalité est présente dans la culture occidentale dès ses origines. Il suffit de rappeler de nombreux passages que Platon a consacrés à la notion de zôion, désignant le « vivant » en général, ou bien les observations parfois remarquables d’Aristote à propos de la « différence anthropologique », à savoir la différence entre les hommes et les animaux. Avec la modernité, les considérations sur ce clivage envisagé longtemps comme naturel se diversifient. À l’époque des Lumières, la nature de l’homme et la place de l’homme dans la nature représentent, pour la pensée, une véritable obsession. Ainsi, les matérialistes du XVIIIe siècle, tels Diderot ou La Mettrie, iront jusqu’à nier toute différence substantielle entre l’homme et l’animal, tandis que d’autres, à l’instar de Rousseau, partiront des refléxions sur la différence anthropologique pour présenter une vision originelle de la nature et de l’humanité en tant que telle. La médecine et la psychologie (voir la contribution de Josef Fulka), mais aussi les arts – la peinture (Katalin Bartha-Kovács, Luca Molnár, Enikő Szabolcs) et la littérature (Florence Boulerie, Andrea Tureková) – illustrent les différentes modalités de cette relation.
Les pistes de réflexion de l’âge des Lumières se prolongeront, parfois d’une manière inattendue et fort subtile, tout au long du XIXe siècle : témoin le recours à l’usage métaphorique du règne animal dans la philosophie de Nietzsche (André Scala), alors que les violences de l’expérience historique et la découverte de l’importance des instincts redéfinisent l’animal rationale et sa représentation en littérature (Eva Voldřichová Beránková, Jaroslav Stanovský).
Au XXe siècle, la question de l’animalité va devenir le sujet de notables controverses, entre autres celle entre le « paradigme privatif » (l’animal « pauvre en monde », selon la célèbre formule de Heidegger) et les divers courants de la pensée qui s’efforceront à attribuer à l’animalité un statut plus digne et plus nuancé, et cela jusque dans la sphère juridique (Olga Smolová). Serait-ce sous l’influence du concept d’Umwelt de Jacon von Uexkull, sous celle Gilles Deleuze ou de Jacques Derrida qui a consacré une partie de son œuvre à déconstruire la notion de l’animal rationnel et à lutter contre la cruauté envers les animaux ?
La ligne de partage entre l’humain et l’animal s’inscrit dans l’imaginaire depuis l’Antiquité : mythologies, signes du zodiaque, bestiaires, fables, statuaires, représentations figuratives, qui, sytématisées et argumentées, deviennent partie intégrante de l’esthétique des avant-gardes (Colette Guedj), s’inscrivent dans les performances artistiques (Christelle Nicolas), redéfinissent le statut humain/animal des personnages en littérature (Sylviane Coyault, Myriam Lépron, Tereza Hemzová, Vojtěch Šarše) tout en activant l’imaginaire infra-animal à travers les récits filmiques (David El Kenz).
Si les textes proposés ne font qu’esquisser certains aspects de la problématique, la variété des différents domaines et périodes qu’ils traitent permet d’entrevoir certains points communs dans les approches du mystère du sphinx qu’est l’homme, à la fois affirmé dans ses prérogatives et mis en question par lui-même.
Nous tenons à exprimer nos vifs remerciements à l’Université Masaryk de Brno, à l’Université Charles de Prague et à l’Association Jan Hus pour le soutien financier, logistique et moral sans lequel le présent numéro de la revue Ostium n’aurait pu voir le jour.
Cover: Martina Mäsiarová, Simona Gottierová – From the Series „Nekameň“
Petr Kyloušek