Le thème du rêve parcourt, directement ou indirectement, toute l’histoire de la pensée occidentale. Dans ce volume, on se propose d’examiner les modalités diverses de la présence du rêve dans la philosophie, la littérature, l’art, l’histoire et bien d’autres domaines de la culture humaine.
Quant à la philosophie, le rêve se trouve être porteur de significations surdéterminées depuis l’Antiquité (Le songe de Scipion). Qu’on se souvienne des rêves célèbres de Descartes (le rêve sur le melon ; et n’oublions pas que le motif du rêve va constituer également une partie importante du trajet intellectuel effectué dans les Méditations métaphysiques) ou bien de celui de Spinoza (le rêve sur l’Ethiopien). Diderot, dans le Rêve de d’Alembert, va pousser le questionnement concernant le rêve plus loin encore en faisant du rêve, bien avant Freud, le lieu même de la vérité. Ainsi, le rêve se dessine comme un espace permettant d’examiner les rapports entre la pensée, l’illusion et l’imagination, un espace qui ne cessera de fasciner les philosophes jusqu’au XXe siècle : entre tant d’autres penseurs, nommons au moins Bachelard et ses travaux magistraux consacrés au rêve, ou bien Husserl qui va consacrer des textes importants à la question de la phantasia (et qui sera suivi, à cet égard, par Merleau-Ponty, Sartre et plus récemment Marc Richir). Mais notons également que la notion de rêve se prête aussi à une interprétation métaphorique qu’il ne faudrait pas négliger : les rêves utopiques (More, Campanella, Bacon et tant d’autres), ou les promesses d’un autre ordre social (Fourier, le marxisme etc.).
Dans le domaine de la littérature, le rêve est non moins présent. « Le rêve est une seconde vie », déclare Nerval dans Aurélia (« … et même peut-être la première », ajoute le cinéaste tchèque Jan Švankmajer). Il serait impossible d’énumérer tous les ouvrages et tous les auteurs qui ont manifesté une fascination par la logique onirique ou par la richesse des images s’offrant au rêveur : le rêve célèbre de Raskolnikov dans Crime et châtiment constitue un point nodal de l’intrigue du roman, ainsi que le rêve de Lockwood dans Les Hauts de Hurlevent ou celui de Jane Eyre ou de Clarissa dans les romans éponymes (et il n’est nullement nécessaire de se limiter, à cet égard, à la littérature occidentale : souvenons-nous de ce chef-d’œuvre de la littérature chinoise qu’est Le rêve dans le pavillon rouge). Le romantisme va porter la fascination par le rêve à un degré de complexité sans précédent : les textes d’E. T. A. Hoffmann, ceux de Novalis ou bien les poèmes de S. T. Coleridge suffisent à nous en convaincre. Et il serait, sans doute, vain d’ajouter que cette même fascination va se prolonger dans la poétique et l’esthétique surréalistes ou dans la quête existentielle des poètes du Grand Jeu.
Littérature et philosophie ne sont que deux domaines où l’importance du rêve est difficile à mesurer. Il faudrait sans doute ajouter la peinture (les tableaux de Goya ou de Dalí, parmi d’autres, ou ceux de Botticelli dont Georges Didi-Huberman examine soigneusement la logique onirique) et, bien sûr, la psychanalyse car s’est précisément à propos du rêve que Freud a formulé ses concepts les plus importants (surdétermination, condensation, déplacement etc.) dont la portée excède significativement le contexte propre de cette discipline. Et n’oublions pas non plus les textes hybrides difficiles à classer, tel que l’Hypnerotomachia Poliphili.
Bref, le thème du rêve représente un terrain vaste et une source d’inspiration inépuisable pour quasiment tous les domaines de la pensée et de la création humaines. Dans le présent volume monothématique de la revue Ostium, il ne s’agira pas, évidemment, d’en faire une cartographie complète. Mais à travers la diversité d’approches et le croisement de disciplines diverses, il s’agira précisément de mettre en évidence cette inépuisabilité. Les textes publiés ici sont les versions remaniées des interventions présentées lors de la XXIVe Université d’été de l’Association Jan Hus qui a eu lieu entre le 29 juin et le 4 juillet 2015 à la ville de Štěkeň. Nous tenons à remercier notamment la Fondation Jan Hus de Brno, l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences Tchèque et la Faculté des humanités de l’Université Charles à Prague pour le soutien financier. Nos remerciements vont également aux sœurs de l’ordre Congregatio Iesu à Štěkeň pour nous avoir fourni l’environnement idéal à notre rêverie collective[1].
N o t e
[1] Ce recueil est publié dans le cadre du programme PRVOUK P18, Fenomenologie a sémiotika, Faculté des sciences humaines, Université Charles, Prague.