Invisible eye in Jean-Philippe Toussaint’s Marie’s cycle
Marie’s cycle is the story of an endless separation. The homodiegetic narrator gazes at Marie, the woman he loves, when she is next to him. However, she often hides from him. And what cannot be seen cannot be known either. To compensate for this double lack, the male protagonist replaces view by vision. With his invisible eye, he can observe his beloved from a distance. Thanks to his privileges as an omniscient and omnipotent narrator-observer, he reconstructs the diegesis and stages the characters to his liking – Marie and her lover, Jean-Christophe de G., or Marie alone. As he looks down on the story, he can move from painful distance to facetious detachment.
Keywords · love story, fiction, narrator, view, vision
Le cycle de Marie est composé de quatre romans que Jean-Philippe Toussaint a publiés aux Éditions de Minuit entre 2002 et 2013 : Faire l’amour[1], Fuir[2], La Vérité sur Marie[3] et Nue[4]. L’écrivain y poursuit la longue tradition du roman d’amour mais en infléchit sensiblement les codes. En effet, il se polarise moins sur la rencontre que sur la rupture. Loin de signifier que l’amour et le désir se sont émoussés avec le temps, cette dernière représente une nouvelle modalité de la relation sentimentale au début du XXIe siècle où l’on peut s’aimer tout en se quittant, comme en atteste ce constat du narrateur dans Faire l’amour :
Nous nous aimions mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable.[5]
Par conséquent, la rupture ne saurait constituer une étape transitoire entre la vie à deux et la solitude retrouvée. Elle se présente dans son accomplissement et partant dans son inachèvement. « Serait-ce jamais fini avec Marie ? »[6], se demande le narrateur à l’ouverture de Fuir. Il pourrait reprendre à son compte les paroles liminaires de Clov dans Fin de partie de Samuel Beckett en les appliquant à sa relation avec la jeune femme : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. »[7] Cette fin indéfinie, traitée sur le mode de la répétition et de l’amplification, donne lieu à un nouveau régime narratif qui abandonne la succession des événements pour se fonder sur la vision :
Le jour se levait, et je songeais que c’en était fini de notre amour, c’était comme si je regardais notre amour se défaire devant moi, se dissiper avec la nuit, au rythme quasiment immobile du temps qui passe quand on en prend la mesure.[8]
Le narrateur se place en spectateur de son couple qui se défait. Dans cette perspective, la séparation, qui relève du registre sentimental, est à considérer également dans son acception spatiale. Le narrateur mesure la distance physique qui l’éloigne de Marie, son point de mire. Quand ils sont ensemble, elle se sait observée et peut échanger des regards avec lui. L’œil du narrateur lui est visible. Dès qu’elle s’en va et devient hors d’atteinte, il l’observe de loin, à son insu, de son œil invisible.
Nous nous demanderons dans quelle mesure cet œil invisible parvient à révéler l’objet sur lequel il se focalise, à suppléer son absence en substituant la vision à la vue. Le regard de l’observateur ne se limite pas à ce qu’il est capable de voir. Il retrouve les prérogatives du narrateur omniscient qui, dans le roman de type balzacien, occupe la position d’un dieu scrutant le monde de son œil invisible.
Ouvrir grand les yeux : voir sans être vu
Jean-Philippe Toussaint reprend un motif de la littérature narrative dont le noyau est décrit en ces termes par Henri Lafon :
[…] à travers un décor ou un objet, un personnage voit sans être vu. […] Donc, chaque fois, deux acteurs au moins, un regard qui ne soit pas réciproque, un élément extérieur et inanimé qui s’interpose. C’est la répétition de ces éléments, la stabilité de ce noyau qui nous permet, semble-t-il, de parler de cliché.[9]
Dans le cycle de Marie, le narrateur, en position de regardant, porte son attention sur Marie, qui ne le voit pas. Parmi les éléments extérieurs qui s’interposent, l’écrivain choisit deux instruments optiques : des écrans de contrôle et un hublot. Ils font partie du Contemporary Art Space de Shinagawa, musée où la jeune femme, styliste et plasticienne, expose ses dernières créations. Bien qu’ils aient rompu, le narrateur et son ancienne compagne ont fait le voyage tous les deux et passent ensemble les premières heures de leur séjour à Tokyo.
Les écrans de contrôle : l’image comme artefact
La première fois qu’ils se rendent au musée pour découvrir les lieux où seront exposées les œuvres de l’artiste, le narrateur pénètre dans la salle de contrôle située à côté du hall d’entrée. Ses yeux sont attirés par deux rangées de moniteurs sur lesquels défilent des images monochromes et neigeuses. De son côté, la jeune femme traverse les salles, séparée du narrateur par des cloisons. C’est à l’écran qu’elle surgit telle une apparition :
Je regardais fixement cette rangée d’écrans blancs qui scintillaient légèrement, quand je vis soudain Marie apparaître dans le tableau, silhouette solitaire que je voyais se mouvoir lentement devant moi sur l’écran. Elle passait comme en apesanteur d’un écran à l’autre, manteau noir sur fond blanc, disparaissant de l’un et surgissant dans l’autre. Parfois, fugitivement, elle était présente sur deux écrans à la fois, puis, tout aussi fugacement, elle n’était plus présente sur aucun, elle avait disparu, et, immédiatement, c’était étrange et même un peu douloureux, elle me manquait, Marie me manquait, j’avais envie de la revoir. Elle réapparaissait alors, elle était de nouveau à l’image, elle s’était arrêtée au milieu d’une salle. J’étais entré dans la pièce et je m’étais approché de l’écran, tout près, les yeux à quelques centimètres de sa brillance électronique, et je la vis lever les yeux vers moi pour adresser un regard neutre en direction de la caméra de surveillance, nos regards se croisèrent un instant, elle ne le savait pas, elle ne m’avait pas vu – et c’était comme si je venais de prendre visuellement conscience que nous avions rompu.[10]
Le regard focalisé transforme un matériel utilitaire, dont la définition graphique est de qualité médiocre, en œuvre d’art vidéo. En témoignent la référence au tableau, les indications de luminosité, les effets de contraste entre noir et blanc, entre apparition et disparition de la femme que vient accentuer l’alternance de mouvements lents et saccadés. Les yeux du narrateur se rapprochent du moniteur pour saisir Marie, artiste devenue objet mobile de la composition plastique. Le mouvement en avant exprime la fascination de l’observateur et réduit symboliquement la distance qui le sépare de la jeune femme, créant dès lors les conditions favorables à la scène de leur rencontre.
Celle-ci se produit sur le mode d’une illusion visuelle : Marie regarde non pas le narrateur dans les yeux mais l’objectif d’une caméra, instrument qui ne saurait susciter la moindre émotion. Si dans le roman d’amour la rencontre est le point de départ de la relation sentimentale[11], elle creuse ici le manque et confère à la séparation un caractère définitif. Le narrateur et Marie ont déjà vécu leur première rencontre dans un temps antérieur au récit. Il ne saurait être question de ressusciter ce qui n’est jamais advenu dans la diégèse.
En conséquence, la captation d’une série d’images animées ne remplit pas une fonction compensatrice parce qu’elles sont des artefacts. Les écrans donnent à voir une silhouette à deux dimensions, sans épaisseur. Marie apparaît comme un foyer lumineux, non comme une femme incarnée. Ainsi demeure-t-elle immatérielle, insaisissable, pur phénomène optique. Sa présence relève de la persistance rétinienne : quand l’œil observe attentivement une source lumineuse, celle-ci s’imprime quelques instants sur la rétine avant de se dissiper. Au sortir de la salle de contrôle, le narrateur constate : « Mes yeux piquaient d’avoir fixé l’écran aussi intensément et ma vue se brouillait sous des éblouissements blancs […] »[12].
Cette scène est reprise comme en écho dans Nue. Les variations qui s’opèrent d’un livre à l’autre confirment la rupture. En effet, elle se déroule le soir du vernissage de l’exposition. Marie croit que le narrateur a quitté le Japon. En réalité, après avoir passé quelques jours à Kyoto, il est revenu à Tokyo. Son intention est de la surprendre. Du seuil il aperçoit la salle de contrôle et les moniteurs :
Je m’approchai et me mis à passer les écrans en revue, je les scrutais les uns après les autres, détaillant leur surface avec soin, fouillant la trame électronique des moniteurs pour essayer de faire surgir la silhouette de Marie dans la foule – Mais il n’y avait pas de trace de Marie sur les écrans. […] Marie, sans visage. Marie, sans apparence. Marie, tellement absente ce soir.[13]
Mu par une pulsion scopique, le narrateur franchit mentalement la distance qui le sépare des écrans. Mais son attention est vaine car son regard n’a pas la capacité de faire surgir Marie, fût-ce en image. L’œil invisible se heurte alors au vide de l’absence.
Le hublot : le voyeur derrière la jalousie
Le second instrument optique auquel recourt l’œil invisible du narrateur est un hublot sur le toit du musée auquel il accède en empruntant l’escalier de secours. En effet, il a renoncé à franchir le seuil parce qu’il a reconnu un gardien qu’il avait menacé quelques jours auparavant avec un flacon d’acide chlorhydrique. Il se trouve alors en position de voyeur, à l’extérieur, dans le noir, dissimulé derrière le hublot transformé en jalousie.
S’il aperçoit d’abord une foule indistincte, il refuse de s’en tenir à cette vue d’ensemble floue. En homme jaloux, obnubilé par la seule idée de voir Marie, il aiguise son regard comme s’il effectuait une mise au point sur l’objectif d’un appareil photographique : « Le regard fixe, intense, tendu, je passais rapidement en revue les visages des femmes présentes au vernissage, j’écarquillais les yeux, je forçais la pupille. »[14] La concentration d’adjectifs et de verbes contenant le sème (avec effort) montre que le narrateur poursuit avidement son objet.
Son regard répond à la définition de « l’œil vivant » qu’en propose Jean Starobinski. L’essayiste explique qu’avant de s’appliquer à un acte de perception, le regard fait partie d’une famille de termes qui expriment l’attente, le souci, tels l’égard, la garde ou la sauvegarde :
L’acte du regard ne s’épuise pas sur place : il comporte un élan persévérant, une reprise obstinée, comme s’il était animé par l’espoir d’accroître sa découverte ou de reconquérir ce qui est en train de lui échapper.[15]
Il cherche à débusquer ce qui est dissimulé, invisible au premier coup d’œil, tapi dans l’ombre des apparences, jusqu’à ce que se produise la révélation de Marie, dans sa double acception chrétienne et photographique. Elle apparaît telle une figure sacrée sous le regard dévoilant du narrateur : « Marie était là, je l’avais sous les yeux maintenant, je l’apercevais dans la foule, et il émanait d’elle quelque chose de lumineux, une grâce, une élégance, une évidence. »[16] À la différence de son image sur les écrans de contrôle, Marie « satur[e] l’espace de sa présence immobile »[17]. L’œil scrutateur parvient à détailler les traits de son visage, l’expression de son regard et le mouvement de ses lèvres.
Ainsi lève-t-il les obstacles de la distance qui entrave l’acte de voir. Il pallie les capacités limitées de l’organe. Le regard opère par rapprochement et par focalisation, intégrant la technique photographique du zoom. La perception de loin élargit la perspective, amorçant le passage de la vue à la vision.
Fermer les yeux : de la vue à la vision
Nous avons considéré jusqu’à présent que l’œil est invisible quand son objet ne se sait pas observé. Le regard s’appuie sur une perception visuelle initiale. Or il est des scènes où Marie ne peut être vue ni à distance, ni sur des écrans. C’est alors que la vision remédie à l’impossibilité de voir. Le terme est ambivalent en français. Il désigne la perception du monde extérieur par les organes visuels. Il est également une vue de l’esprit conçue par l’imagination[18]. C’est cette seconde signification que nous allons explorer.
Indépendante de la vue, la vision se fonde sur un autre sens, l’ouïe, et mobilise un outil de communication, le téléphone portable. C’est le cas notamment dans Fuir. Les protagonistes se trouvent à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, sur deux continents différents. Le narrateur a pris un train qui le conduit de Shanghai à Pékin. Marie, quant à elle, visite le musée du Louvre à Paris. Elle apprend au cours d’un appel que son père vient de mourir sur l’île d’Elbe. Elle téléphone alors à son ancien compagnon. Le portable permet de reconfigurer l’espace romanesque. Toussaint exploite sa « qualité d’ubiquité »[19] qui consiste à faire coexister deux espaces en opposition : Orient et Occident, nuit et jour, lieu d’anonymat et lieu de mémoire…
L’attention du narrateur se porte tout d’abord sur le volume et les inflexions de cette voix qu’il entend « au loin »[20]. Mais au lieu de donner matière au discours indirect, la perception auditive suscite des images. Les notations visuelles créent une scène vivante qui donne à voir la « silhouette vacillante, chancelante »[21] de la jeune femme traversant les salles du musée à la recherche de la sortie, bousculant ici et là les visiteurs qui se retournent sur son passage[22]. Une nouvelle fois, Marie est le point de mire du narrateur. Elle se trouve sous les feux des projecteurs, exposée à une lumière qui l’aveugle. Telle une victime expiatoire, elle est traquée par le soleil, à la fois astre réel à son zénith et astre peint à la gloire de Louis XIV dans la rotonde d’Apollon : elle « retrouv[ait] là encore le soleil, comme une malédiction, le soleil qui semblait la poursuivre, factice à présent, faux, peint, artificiel, qui brillait d’un éclat d’incendie au plafond […] »[23].
La scène est le produit d’une vision, opération que le narrateur analyse en ces termes :
[…] j’écoutais la faible voix de Marie qui parlait dans le soleil du plein après-midi parisien et qui me parvenait à peine altérée dans la nuit de ce train, la faible voix de Marie qui me transportait littéralement, comme peut le faire la pensée, le rêve ou la lecture, quand, dissociant le corps de l’esprit, le corps reste statique et l’esprit voyage, se dilate et s’étend, et que, lentement, derrière nos yeux fermés, naissent des images et resurgissent des souvenirs, des sentiments et des états nerveux […].[24]
L’œil invisible se libère du corps soumis aux lois de la pesanteur pour se projeter dans le musée, comme s’il était porté par les ondes sonores de la voix. Les images se révèlent progressivement derrière les paupières, sur une scène mentale qui les restitue dans toute leur intensité lumineuse. L’imagination a, en effet, la capacité d’éclairer les objets pour les rendre visibles. Ainsi, Aristote rattachait le mot phantasia, imagination en grec, à phôs, la lumière. Les sources multiples de la vision – paroles de Marie et bruits qui l’environnent, souvenirs du musée du Louvre que le narrateur a fréquenté assidument, émotions vives que sont l’amour et le choc provoqué par l’annonce de la mort d’un proche… – se combinent pour créer une scène animée, sous la forme d’une hypotypose.
C’est véritablement à partir de Fuir que le regard de l’observateur s’affranchit des contraintes que lui impose son corps pour se porter sur Marie où qu’elle soit. L’œil invisible est alors ubiquiste.
Voir en tous lieux : l’omniscience retrouvée
Si l’œil est omniprésent, le personnage tend à s’effacer de la diégèse dès qu’il est séparé de la jeune femme et qu’elle est objet de son attention.
Le personnage hors de la diégèse
La majeure partie de la Vérité sur Marie se déroule en son absence. Les deux protagonistes vivent désormais dans des appartements séparés à Paris et Marie a rencontré un autre homme, Jean-Christophe de G., le soir du vernissage de son exposition à Tokyo. Dans l’espace de la diégèse, les deux hommes ne peuvent coexister aux côtés de Marie. Le nouveau couple exclut l’ancien amant. Ce dernier en prend amèrement conscience quand il les voit par hasard dans l’hippodrome de Tokyo où Jean-Christophe de G. fait courir son cheval Zahir :
Je regardais Marie, et je voyais bien que je n’étais plus là, que ce n’était plus moi maintenant qui était avec elle, c’était l’image de mon absence que cet homme révélait. J’avais sous les yeux une image saisissante de mon absence.[25]
Ainsi est-il évacué en tant que personnage de l’espace diégétique. Il se trouve en position décentrée, à l’extérieur, derrière une limite qu’il ne peut pas franchir. Rappelons que le soir du vernissage, à Tokyo, il ne passe pas le seuil du musée et rebrousse chemin. Sur le toit, la vitre épaisse du hublot le coupe de ce « monde proche et inatteignable »[26] où se produit la scène de rencontre entre Marie et Jean-Christophe de G., scène dont il est le « témoin visuel »[27] sans le savoir. À Paris, il a quitté l’appartement rue de La Vrillière dans lequel il a vécu plus de cinq ans avec Marie et où elle partage un moment d’intimité avec son amant qui s’est substitué à lui dans le lit. Sa position en retrait révèle son impuissance à agir dans l’espace où évolue son ancienne compagne.
Mais il lui arrive de disparaître intentionnellement comme à la fin de Fuir. Lors des obsèques du père de la jeune femme, Henri de Montalte, il quitte subrepticement l’église pendant l’office. Commence alors le récit de sa disparition, envisagée sous l’angle de Marie. Verbes et locutions verbales expriment sa frénésie scopique grandissante, d’abord dans l’église – « chercher des yeux »[28], « en ne me voyant pas », « regardant avec détresse »[29] – puis dans les rues de Portoferraio – « Marie me cherchait avec fièvre », « scrutait la pénombre entre ses mains pour voir si je n’étais pas à l’intérieur »[30]. La figure absente du narrateur devient son point de mire, sa seule préoccupation, la source unique de sa douleur. Il est un « homme sans visage »[31] qu’elle s’efforce en vain de décrire aux passants. Au terme de sa recherche, elle retrouve l’hôtel où il a pris une chambre, dans laquelle elle se résout à l’attendre. La scène se clôt au moment où il ouvre la porte, faisant son apparition avec une simplicité qui met fin à la tension dramatique des heures précédentes.
La mise en scène de sa disparition exacerbe la dichotomie entre le personnage absent et l’œil invisible qui oriente la focalisation sur Marie. Le narrateur restreint le champ de la vision et du savoir en feignant d’être dans la même ignorance que la jeune femme. À nul moment il n’explique les raisons de son départ ni ne donne d’informations sur ce qu’il a fait. Il offre une vision monoscopique qui s’exprime à travers des indices de focalisation interne telles les questions au discours indirect libre : « Pourquoi ne répondais-je pas, pourquoi ne voulais-je pas lui ouvrir ? Etais-je là ? Marie paniquait, secouait la poignée de la porte. M’était-il arrivé quelque chose ? Etais-je là, mort, sur le lit, derrière la porte ? »[32] Le « je » connaît les réponses à ces questions. Par définition, le narrateur est celui qui sait. Son savoir est à la mesure de son champ de vision qui s’étend bien au-delà de ce qu’il peut effectivement voir.
La troisième personne : l’objectivité en trompe-l’œil
Fuir, La Vérité sur Marie et Nue sont constitués de nombreux épisodes auxquels le narrateur n’a pas pris part, comme s’il était hétérodiégétique. Le « je » s’efface au profit de la troisième personne. Dans La Vérité sur Marie, la phrase qui introduit la scène d’intimité entre la femme et son amant pourrait constituer l’incipit in medias res d’un roman réaliste du XIXe siècle : « Il était un peu plus de minuit quand ils étaient rentrés dans l’appartement de la rue de La Vrillière. »[33] Ces données strictement informatives annoncent un récit objectif. En réalité, la troisième personne est un indice de l’absence du personnage, non du narrateur. En aucun cas, il ne s’est effacé, ainsi que l’analyse Pierre Bayard : « D’une certaine manière, ce qui est au cœur de ces récits est moins, en plein, ce qu’ils racontent que, en creux, le fait que le narrateur n’est pas là, son absence étant comme l’énergie de ces textes. »[34] D’ailleurs, la première personne affleure discrètement au détour d’une apposition – « Marie, ma pirate » – ou d’une parenthèse – « (nous l’avions, je le crains, les mêmes goûts) »[35] – pour rappeler non sans humour la complicité entre les deux anciens amants. S’il est invisible, sa présence en tant que narrateur s’impose par son omniscience. Ainsi relate-t-il avec force détails les déplacements, les actes et les pensées des deux protagonistes dans l’espace clos de la chambre à coucher.
Son œil invisible est intrusif, ce dont Marie prend conscience plus tard dans la nuit quand il la rejoint. En effet, la scène d’intimité s’est terminée tragiquement par la crise cardiaque de Jean-Christophe de G. qui lui sera fatale. Désemparée, elle a appelé son ancien compagnon qui, arrivé en bas de l’immeuble, a aperçu son rival sur un brancard. Une fois dans l’appartement, il réintègre l’espace diégétique. Il découvre la bouteille de grappa qu’elle a bue avec Jean-Christophe de G. un peu plus tôt dans la soirée. Elle se sent alors « devinée », « trahie » par cette bouteille qui donne au narrateur l’occasion de s’immiscer dans sa vie privée et d’« imaginer ce qui s’[est] passé entre eux dans la chambre »[36]. Les rôles se répartissent comme dans une intrigue policière au moment où l’affaire se résout : le narrateur enquêteur confond la coupable.
[D]isposant désormais d’un repère tangible en amont (la bouteille de grappa) et d’un repère visuel en aval (la sortie du brancard dans la nuit dont j’avais été témoin), j’étais désormais en mesure de combler le vide de ce qui s’était passé cette nuit dans l’intervalle, et de reconstituer, de reconstruire ou d’inventer, ce que Marie avait vécu en mon absence.[37]
L’œil invisible opère par dévoilement pour qu’éclate « la vérité sur Marie ». C’est plus tard, sur le bateau qui le conduit sur l’île d’Elbe, un an après la mort d’Henri de Montalte, qu’il construit le récit de cette scène à travers le prisme de sa subjectivité. Dans un demi-sommeil, il « en appel[e] au rêve pour invoquer des images », combine « faits avérés » et « pures fantaisies », se « déplac[e] mentalement dans l’appartement »[38], les yeux clos. Conscient que la réalité absolue des faits lui échappe, il explore les ressources du romanesque. Or dans l’ordre de la fiction, il n’est pas besoin de modaliser un énoncé en exprimant un degré de probabilité. Le savoir de l’énonciateur est asserté, comme l’illustre l’évocation du lever de Marie le matin des obsèques : « Elle avait dû se lever à l’aube ce matin, Marie s’était levée à l’aube […] »[39].
De l’omniscience à la toute-puissance : les facéties du narrateur
Le narrateur ne se contente pas de lire dans les pensées des personnages. Tout-puissant et facétieux, il n’hésite pas à les placer dans des situations saugrenues aux effets comiques. Ce pouvoir qu’il se donne vient suppléer la douleur de la séparation et la vexation d’avoir été remplacé par un autre homme. Il prend le contrôle de son rival, profitant de ne jamais avoir vu son visage pour le caractériser en toute liberté[40].
En premier lieu, il change son identité. Jean-Christophe de G. s’appelle en réalité Jean-Baptiste de Ganay :
Je me soupçonne même de m’être trompé volontairement sur ce point pour ne pas me priver du plaisir de déformer son nom, non pas que Jean-Baptiste fût plus beau, ou plus élégant, que Jean-Christophe, mais ce n’était tout simplement pas son prénom, et cette simple petite vexation posthume suffit à mon bonheur (se fût-il appelé Simon que je l’aurais appelé Pierre, je me connais).[41]
Affublé d’un nouveau nom, il fait son entrée dans le champ de la fiction. Le narrateur ne fabrique pas le personnage ex nihilo mais en référence à des topoi de la littérature sentimentale populaire. Le soir où il s’apprête à rencontrer Marie, il apparaît comme la figure stéréotypée du séducteur qui veut avoir une aventure avec une femme très en vue, dont le nom complet Marie Madeleine Marguerite de Montalte, lu sur une carte d’invitation, a éveillé la curiosité en raison de ses connotations romanesques. Le narrateur-personnage, rappelons-le, se trouve derrière le hublot. Il ne voit pas la scène mais la reconstruit a posteriori. Il reprend avec humour une situation conventionnelle de vaudeville impliquant le mari, la femme et l’amant : « […] il aperçut alors ma silhouette en manteau sombre sur le toit. Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? pensa-t-il. Le mari ! »[42] Il se plaît en outre à relater une scène de première vue qu’il invente de toute pièce. L’apparition se produit sur un mode parodique : la femme que voit Jean-Christophe de G. s’appelle effectivement Marie mais n’est pas l’artiste exposée au musée. Le conteur ne se prive pas d’exploiter les ressorts comiques du quiproquo, notamment au moment où la jeune femme qui se tient aux côtés du séducteur essuie quelques critiques sur son œuvre. Comme elle n’a aucune réaction émotive, il imagine des explications trahissant une conception réductrice de l’« artiste fragile et torturée, peut-être dépressive sous des dehors insouciants »[43]. Enfin, quelques temps plus tard, dans l’appartement rue de la Vrillière, la scène d’amour que conçoit le narrateur est bien peu érotique, Marie ne sachant que faire du sexe de son amant.
La jeune femme n’échappe pas non plus au regard aiguisé de son ancien compagnon qui, à distance, la met en scène dans des postures très romanesques. Lors des obsèques de son père, « dans un de ces gestes de folie dont elle était capable, de panache, d’audace et de bravoure »[44], elle décide d’escorter le corbillard à cheval alors qu’elle n’est pas cavalière. Au sortir du musée du Louvre, elle prend une pose de tragédienne : « à moitié allongée sur un banc, elle ne bougeait plus, la nuque reposant sur le marbre »[45]. Le soir du vernissage, quand le narrateur derrière le hublot parvient à détailler les traits de son visage, il s’efforce de lire sur ses lèvres « quelque révélation bouleversante »[46] concernant les circonstances de leur séparation et, cultivant l’art de la chute comique, cite ses paroles au discours direct : « Moi, quand je suis déprimée, je me fais un œuf à la coque ! »[47]
Ainsi le narrateur maître du jeu et de ses personnages reconfigure-t-il l’espace de la diégèse à travers le prisme de la fiction et d’un romanesque convenu.
L’œil invisible se porte obstinément sur son objet pour le faire apparaître en supprimant la distance qui les sépare. Toujours placé en surplomb, il exerce un contrôle. Quand Marie est filmée en plongée, le regard devant les écrans est mis en échec parce qu’il se laisse happer par des images vides de toute substance. Pour révéler la femme, la vue doit être relayée par la vision. Le narrateur peut alors se projeter en tous lieux, étendre son savoir et son pouvoir. Il se trouve dans « l’angle mort » – l’expression est de Sam, le narrateur d’Insoupçonnable[48] de Tanguy Viel –, angle d’où il peut voir sans être vu. Sa position en hauteur lui permet de passer de la distance douloureuse à la distanciation facétieuse en usant à loisir de ses prérogatives de narrateur. Il est à la fois l’instance qui voit, qui raconte et qui tire les fils du récit. L’œil invisible accomplit un acte de création éminemment artistique. Son objet est une plasticienne, il a une prédilection pour les musées, il compose une œuvre à partir d’images vidéo, il réinvestit le romanesque…, autant d’indices éclairant une poétique articulée autour du regard, poétique formulée ainsi par Jean-Philippe Toussaint : « je peux fermer les yeux en les gardant ouverts, c’est peut-être ça écrire »[49].
Bibliographie
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LAFON, H. : « Voir sans être vu » un cliché, un fantasme. In : Poétique. Paris : Éditions du Seuil, février 1977, n°29, pp. 50-60.
ROUSSET, J. : Leurs yeux se rencontrèrent. La scène de première vue dans le roman. Paris : José Corti, 1981.
STAROBINSKI, J. : L’œil vivant. Corneille, Racine, La Bruyère, Rousseau, Stendhal. Édition augmentée. Paris : Gallimard, coll. Tel, n°301, 1999.
TONG, C. – TOUSSAINT, J.-P. : Ecrire, c’est fuir. Conversation à Canton entre Chen Tong et Jean-Philippe Toussaint les 30 et 31 mars 2009. In : TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Paris : Éditions de Minuit, coll. Double, 2009, pp. 173-185.
TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Paris : Éditions de Minuit, 2002.
TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Paris : Éditions de Minuit, 2005.
TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Paris : Éditions de Minuit, 2009.
TOUSSAINT, J.-P. : L’Urgence et la patience. Paris : Éditions de Minuit, 2012.
TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Paris : Éditions de Minuit, 2013.
TOUSSAINT, J.-P. : La Main et le regard. Paris : Paris-New York Editions, 2012.
VIEL, T. : Insoupçonnable. Paris : Éditions de Minuit, 2006.
Frédéric Clamens-Nanni
Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
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Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopétique
Maison des Sciences de l’Homme
4 rue Ledru, 63057 Clermont-Ferrand Cedex 1
frederic.clamens-nanni@univ-bpclermont.fr
[1] TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Paris : Éditions de Minuit, 2002.
[2] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Paris : Éditions de Minuit, 2005.
[3] TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Paris : Éditions de Minuit, 2009.
[4] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Paris : Éditions de Minuit, 2013.
[5] TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Op. cit., p. 82. Laurent Demoulin considère « qu’il s’agit là de la phrase-clé de la relation entre Marie et le narrateur, phrase qui est toujours valable pour comprendre Fuir et, surtout, La Vérité sur Marie. Ils s’aiment toujours, mais ils ne se supportent plus : cette situation est neuve et n’a rien à voir avec les récits de rupture de la génération précédente, qui sont en général axés sur le thème de l’usure du désir, de la vie quotidienne qui tue l’amour, etc., et dont le roman archétypal est La Modification de Butor. » (DEMOULIN, L. : Faire l’amour à la croisée des chemins. In : TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Paris : Éditions de Minuit, coll. Double, 2009, p. 158.) Cette phrase-clé peut également s’appliquer à Nue, dernier volet de la tétralogie. À la fin du cycle, le narrateur la reprend mais sous la forme d’un paradoxe : alors que sa vie avec Marie est mise en péril par le « peu de mal » qu’ils se font, la rupture devient dans les dernières pages un état dont l’équilibre est menacé par la possibilité d’une vie commune recommencée : « Car, de même qu’il arrive parfois qu’une fêlure s’installe dans la vie amoureuse d’un couple, qui, avec le temps, ne peut que s’étendre et s’aggraver pour aboutir à une rupture définitive, je sentais que pour nous, c’était plutôt dans le principe même de notre rupture qu’une lézarde était en train de s’installer, qui, avec ce que nous venions de vivre et le fait que Marie était enceinte [le narrateur est le père de l’enfant qu’elle attend], ne pourrait que s’accroître, au point que, si elle venait à s’élargir encore, c’est l’idée même de notre séparation qui se trouverait menacée (et que nous finirions, tôt ou tard, par nous remettre à vivre ensemble). » (TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 159)
[6] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., p. 11.
[7] BECKETT, S. : Fin de partie. Paris : Éditions de Minuit, 1957, p. 15.
[8] TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Op. cit., p. 83.
[9] LAFON, H. : « Voir sans être vu » un cliché, un fantasme. In : Poétique. Paris : Éditions du Seuil, février 1977, n°29, p. 50. Henri Lafon examine un corpus constitué d’une trentaine de récits du XVIIIe siècle mais le cliché se retrouve dans une tradition romanesque bien plus étendue.
[10] TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Op. cit., pp. 125-126.
[11] Dans la tradition, la scène de rencontre est, selon les termes de Jean Rousset, un événement « à la fois inaugural et causal », « une unité dynamique […] déclenchant un engrenage de conséquences proches et lointaines ». (ROUSSET, J. : Leurs yeux se rencontrèrent. La scène de première vue dans le roman. Paris : José Corti, 1981, p. 7)
[12] TOUSSAINT, J.-P. : Faire l’amour. Op. cit., p. 126.
[13] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 51.
[14] Ibid., p. 57. C’est nous qui soulignons.
[15] STAROBINSKI, J. : L’œil vivant. Corneille, Racine, La Bruyère, Rousseau, Stendhal. Edition augmentée. Paris : Gallimard, coll. Tel, n°301, 1999, p. 11.
[16] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 79.
[17] Ibid., p. 80.
[18] Cette acception rejoint une définition que Jean-Philippe Toussaint donne du regard : « Le regard, une vue de l’esprit ». Elle figure au milieu d’une page de l’ouvrage qui accompagne l’exposition LIVRE/LOUVRE de Jean-Philippe Toussaint, organisée à Paris au musée du Louvre, salles Sully, du 7 mars au 11 juin 2012. (TOUSSAINT, J.-P. : La Main et le regard. Paris : Paris-New York Editions, 2012, p. 76.)
[19] TONG, C. – TOUSSAINT, J.-P. : Ecrire, c’est fuir. Conversation à Canton entre Chen Tong et Jean-Philippe Toussaint les 30 et 31 mars 2009. In : TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Paris : Éditions de Minuit, coll. Double, 2009, p. 179. L’écrivain revient sur les potentialités romanesques du téléphone portable lors de l’émission que lui a consacrée Alain Finkielkraut sur France Culture (FINKIELKRAUT, A. : La Vérité sur l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint. In : Répliques [en ligne]. Émission du 21 décembre 2013. Disponible sur : http://www.franceculture.fr/emission-repliques-la-verite-sur-l-oeuvre-de-jean-philippe-toussaint-2013-12-21 [consulté le 15 juin 2014]). Le téléphone portable est pour l’auteur un objet trivial qui devient noble à partir du moment où il ouvre une voie qui n’avait jamais encore pu être explorée jusque-là dans le roman.
[20] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., p. 46.
[21] Ibid., p. 47.
[22] Cette scène trouve son origine dans une image qui s’est imposée avec force à Jean-Philippe Toussaint. Il a plus tard envisagé de la situer au centre Georges Pompidou mais il a renoncé à cette idée parce qu’elle ne répondait pas à son projet. « L’image initiale, c’est Marie qui fuit, désemparée, dans la Grande Galerie du Louvre, et je suis resté fidèle à cette image, c’était mon rêve – mon caprice ou mon fantasme –, et je n’ai pas voulu le modifier. » (TONG, C. – TOUSSAINT, J.-P. : Op. cit., p. 180.)
[23] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., pp. 48-49.
[24] Ibid., p. 51.
[25] TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Op. cit., p. 147.
[26] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 59.
[27] Ibid., p. 61.
[28] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., p. 151 et p. 152.
[29] Ibid., p. 152.
[30] Ibid., p. 158.
[31] Ibid., p. 163.
[32] Ibid., p. 164.
[33] TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Op. cit., p. 13.
[34] BAYARD, P. – TOUSSAINT, J.-P. : L’auteur, le narrateur et le pur-sang. Une enquête de Pierre Bayard et Jean-Philippe Toussaint. In : TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Op. cit., p. 213.
[35] TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Op. cit., p. 14.
[36] Ibid., p. 51.
[37] Ibid., p. 52.
[38] Ibid., p. 164.
[39] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., p. 148. C’est nous qui soulignons.
[40] Par sa toute-puissance, le narrateur entretient des parentés avec l’auteur sans pour autant se confondre avec lui. Invisible, l’écrivain trahit sa présence dans La Vérité sur Marie au moment où Zahir, le cheval, vomit à l’intérieur de l’avion qui le ramène en France. Bien que cela soit impossible dans la réalité, Jean-Philippe Toussaint a tenu à garder cette séquence comme il l’explique à Pierre Bayard : « Je n’ai pourtant pas renoncé à l’image – à sa force visuelle et poétique –, ce qui m’a amené à aller vers quelque chose de beaucoup plus radical que prévu, en rompant en quelque sorte le pacte tacite qui unit le lecteur à l’auteur, qui veut que l’on ne raconte en principe que des choses qui peuvent survenir dans l’ordre du réel. En ce sens, lorsque je fais quand même vomir le cheval, alors que je sais pertinemment que c’est impossible dans le réel, je trahis ma propre présence dans le livre, je fais apparaître l’auteur : ma tête – ou ma main – dépasse soudain entre les pages. » (BAYARD, P. – TOUSSAINT, J.-P. : Op. cit., p. 215. C’est nous qui soulignons.) L’écrivain occupe une position en surplomb à l’instar de son narrateur. Alors que Pierre Bayard soupçonne ce dernier d’avoir tenté d’empoisonner le cheval en raison de sa jalousie, l’auteur prend sa défense en avouant que c’est plutôt lui le coupable, preuve qu’il tire les ficelles de plus haut encore non sans malice.
[41] TOUSSAINT, J.-P. : La Vérité sur Marie. Op. cit., p. 75.
[42] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 72.
[43] Ibid., p. 75.
[44] TOUSSAINT, J.-P. : Fuir. Op. cit., p. 149.
[45] Ibid., p. 50.
[46] TOUSSAINT, J.-P. : Nue. Op. cit., p. 82.
[47] Ibid., p. 83.
[48] VIEL, T. : Insoupçonnable. Paris : Éditions de Minuit, 2006, p. 14. L’« angle mort » est un lieu à l’écart qu’occupent Sam et Lise, sa maîtresse et complice, lieu invisible d’où ils tirent les fils de l’intrigue.
[49] TOUSSAINT, J.-P. : L’Urgence et la patience. Paris : Éditions de Minuit, 2012, p. 47. La phrase est mise en évidence au milieu d’une page de La Main et le regard. Op. cit., p. 134.