Milan Kundera, ou le voyage de la périphérie au centre de la littérature mondiale


Petr Kyloušek: Milan Kundera, ou le voyage de la périphérie au centre de la littérature mondiale [Milan Kundera, or the Travel from the Periphery to the Center of World Literature]. In: Ostium, vol. 19, 2023, no. 2.


Abstract: Considered from the point of view of the center-periphery relationship, Milan Kundera’s literary career appears as a trajectory from the Moravian periphery to the immediate centrality of Prague, and from the Prague periphery, in relation to Paris, to world literature via his entry into French literature. The aim of our contribution is to show Kundera’s awareness of the axiological implications of the center-periphery relationship and the strategies he develops in order to impose himself at the center of the literary field. The analogies between the Czech and French phases of Kundera’s career also involve an important aesthetic aspect in connection with the evolution of the novelistic genre.

Keywords: center-periphery, axiology, Milan Kundera, Czech literature, French literature

Résumé : Envisagée du point de vue de la problématique centre-périphérie, la carrière littéraire de Milan Kundera se présente comme une trajectoire qui va de la périphérie morave à la centralité immédiate qu’est Prague, et de la périphérie pragoise, par rapport à Paris, à la littérature mondiale via l’entrée dans la littérature française. Notre contribution veut montrer la sensibilité de Kundera aux implications axiologiques de la relation centre-périphérie et les stratégies qu’il développe pour s’imposer au centre du champ littéraire. Les analogies qui existent entre l’étape tchèque et la française de la carrière impliquent aussi un important volet esthétique en rapport avec l’évolution du genre romanesque.

Mots-clés : Centre-périphérie, axiologie, Milan Kundera, littérature tchèque, littérature française

Le passage sur la musique folklorique morave, que le traducteur américain Michael Henry Heim a omis lors de sa traduction de La Plaisanterie en anglais (1969), préfigure les transformations de l’œuvre de Kundera sur sa voie allant de la périphérie morave au cœur de la littéraire mondiale. Les modifications textuelles de l’ouvrage auxquelles Kundera lui-même a consenti sont pertinemment analysées dans les versions anglaise, française et autres par Allison Katherin Stanger. Elle note qu’elles « occultent effectivement les complexités de l’histoire tchèque d’après-guerre et la dépeignent conformément aux préjugés occidentaux dominants »[1]. Le ton réprobateur n’en montre pas moins la différence entre le milieu tchèque et sa représentation dans un contexte international, ainsi que la nécessité des adaptations lors de la traduction et la réception par une autre culture.

Nous n’allons pas aborder la problématique générale de la réception. Nous ne l’évoquerons que dans le cadre du parcours de Milan Kundera qui nous intéresse, autrement dit la trajectoire qui va de la périphérie morave à la centralité immédiate qu’est Prague, et de la périphérie pragoise, par rapport à Paris, à la littérature mondiale via l’entrée dans la littérature française.

On reproche parfois à Kundera les manipulations à divers niveaux : son autoprésentation et son image publique, le caractère « narcissique » de son œuvre qui, de texte en texte, se renvoie des reflets en un jeu de miroirs[2] la promotion du lecteur modèle de son œuvre qu’il orchestre au moyen de ses essais, les critères qu’il a imposés pour la publication canonique de son œuvre dans la prestigieuse édition de La Pléiade et qui a suscité de nombreuses critiques[3]. Considérons ces faits comme faisant partie de la stratégie de l’écrivain, une stratégie réussie, ajoutons-le, qui n’a pas seulement un aspect individuel, mais aussi collectif, témoignant en faveur du contexte culturel plus large — morave, tchèque, centre-européen — et des liens tissés entre le local et l’universel. Après tout, même l’entrée de Kundera dans le panthéon de La Pléiade renvoie à la relation centre-périphérie par le choix de l’éditeur François Ricard, éminent critique québécois, qui du point de la centralité française, est un représentant de la périphérie.

Milan Kundera offre un exemple du bon usage de la dynamique centre-périphérie ou plutôt périphérie-centre. On peut identifier et la conscience qu’il a de sa situation périphérique et ses arguments et stratégies pour imposer ses vues et valeurs. Nous noterons plusieurs constantes : valorisation de la périphérie, valorisation de la tradition culturelle, valorisation de l’autonomie de la littérature par rapport à la politique et exploitation et mise à profit des conjonctures littéraires et politiques, relations personnelles, capitalisation progressive du prestige littéraire et cumulation du capital symbolique. Les différents aspects sont liés. Nous profiterons des faits connus, mais nous tenterons de les examiner sous un angle différent.

Évaluation de la périphéricité
Nombre de livres ou d’ouvrages consacrés à Milan Kundera démontrent de manière convaincante ses liens avec Brno et la Moravie. Même un regard sur le roman biographique de Jan Novák, Kundera. Český život a doba (2020 ; Kundera. Son époque et la Vie en Tchécoslovaquie) témoigne de l’importance des liens avec Brno par le nombre de références dans l’index des noms : Vítězslav Nezval, Jan Skácel, Oldřich Mikulášek, Jan Trefulka, Ludvík Kundera, Adolf Kroupa et bien d’autres. La cordialité et la permanence de ces liens sont attestées, par exemple, par la déclaration de Kundera, en 1992, dans la Revue otevřené literatury « Jan Skácel mne poutá k češtině »[4], et par le fait qu’il a fait don de la totalité de la somme d’argent associée à l’attribution du prix de la Fondation Charte 77 à la publication des œuvres complètes de Skácel[5]. Rappelons aussi les liens de Kundera avec la maison d’édition Atlantis de Brno, avec la revue et la maison d’édition Host de Brno, ainsi que le don de ses archives personnelles et de sa bibliothèque à la Bibliothèque morave. Bon nombre de ses essais font référence au compositeur Leoš Janáček, qui, selon Martin Řízek, représente l’alter ego de Kundera dans la promotion de la réflexion sur l’art : « On peut, voire on doit, lire les observations [de Kundera] sur les écrivains Kafka et Gombrowicz ou les compositeurs Janáček et Stravinsky comme une continuation du commentaire (réflexion implicite) de Kundera sur lui-même.[6]».

D’une certaine manière, aux côtés de Kafka, Max Brod, Robert Musil, Hermann Broch et bien d’autres, Leoš Janáček est devenu un modèle pour la réflexion de Kundera sur la relation entre périphéricité et centralité, et une manière d’aborder l’insertion de la périphérie dans l’universalité. Cependant, il ne s’agit pas seulement de la valorisation de la périphérie, mais aussi du rapport de force entre le centre et la périphérie. Chez Janáček, Kundera voit un exemple de la situation axiologique dans laquelle les valeurs du centre déforment, en les accommodant à ses critères, les innovations venant de la périphérie, aussi progressistes soient-elles, précisément parce qu’elles sont (trop) progressistes, inhabituelles pour la configuration des valeurs du centre. En effet, le pouvoir d’authentification se trouve au centre. Je fais référence à l’essai intitulé en tchèque Můj Janáček (Mon Janáček) qui a d’abord été publié en 1991 sous le titre « La recherche du temps perdu » dans la revue Infini, puis en 1993 a été inclus comme cinquième chapitre dans Les Testaments trahis (1993). Dans la section 9, Kundera raconte le conflit entre Janáček et Karel Kovařovic, directeur de l’opéra du Théâtre National de Prague : « Pendant quatorze ans le directeur de l’opéra de Prague, un certain Kovarovic, chef d’orchestre et sous-médiocre compositeur, a refusé Jenufa. S’il a fini par céder (en 1916 c’est lui-même qui dirige la première pragoise de Jenufa), il n’a pas cessé pour autant d’insister sur le dilettantisme de Janacek, et a apporté à la partition beaucoup de changements, de corrections dans l’orchestration, même de très nombreuses ratures. Janacek ne se révoltait pas ? Si, bien sûr, mais comme on sait, tout dépend du rapport de forces. Et c’était lui le faible. Il avait soixante-deux ans et était presque inconnu. S’il s’était rebiffé trop, il aurait pu attendre la première de son opéra pendant encore dix autres années.[7] »

Trois paragraphes plus loin, une situation similaire est relatée entre Max Brod et Janáček concernant la conclusion de La Petite Renarde rusée : « Mais cette fois-ci, Janacek n’obéit pas. Reconnu en dehors de son pays, il n’est plus faible.[8] » Ajoutons que Kundera considère Janáček comme l’un des jalons mondiaux de la transformation de l’opéra et estime que ses innovations sont analogues à la révolution flaubertienne dans le roman. En effet c’est lui qui aurait détourné l’opéra du pathos romantique en l’orientant vers le prosaïque, l’ordinaire, mais aussi vers la motivation psychologique et l’émotivité dans la sémantique des mélodies et des contre-mélodies[9].

Laissons de côté le questionnement sur le bienfondé de la description que fait Kundera de la relation entre Kovařovic et Janáček. Évitons également la tentation de la projection biographique facile et du parallélisme entre Janáček et Kundera et mettons l’accent sur les deux moments du rapport des forces susmentionnés que Kundera illustre : le pouvoir d’authentification et d’autorité du centre face aux initiatives venant de la périphérie, et la deuxième situation, où un artiste déjà reconnu argumente contre le centre par sa propre situation au moment où une consécration supérieure et une insertion dans une axiologie superordonnée donnent la possibilité de s’opposer à l’ancienne centralité. Ce dépassement relève de la stratégie de l’« affirmation de l’extérieur » s’appuyant sur une autorité d’authentification externe supérieure. Ce phénomène n’est pas inconnu dans la culture tchèque, et d’une certaine manière — implicitement, par un silence éloquent — Milan Kundera a fini par utiliser cette stratégie non seulement à l’égard de la situation tchèque, mais, comme nous le verrons, également à l’égard de ses critiques français, lorsqu’il a publié certains de ses romans de langue française d’abord en traduction en espagnol et en italien avant d’accepter de les publier en France.

Si l’exemple de Janáček et la « stratégie centre-européenne » de Kundera représentent l’aboutissement de la « période française » du romancier, les origines et les premiers pas datent du tournant des années 1950 et 1960. Au début de la percée réussie de Milan Kundera dans le noyau central de la littérature tchèque, nous trouvons des arguments périphériques, ceux qui valorisent la région morave. Rappelons les articles dans la revue Kultura « Zamyšlení nad hrnčířským kruhem » (« Réflexions devant le tour de potier ») ou « Svatobořice a tak dál… » (« Svatobořice, etc…. » )[10], où l’auteur valorise la spécificité de la tradition régionale morave dans le domaine de l’art et problématise la centralisation culturelle. Les questions et les critiques adressées au centre culminent dans l’essai « Ať žije. Centralizace kultury a umění v Praze » (« Vivat. La centralisation de la culture et de l’art à Prague »), où Kundera souligne qu’une « centralisation culturelle exagérée est notre maladie séculaire », que « tout ce qui est important se trouve à Prague […] et que tout ce qui est en dehors de Prague est considéré comme moins important ». Cette situation contrasterait avec les avantages culturels du polycentrisme en Allemagne, en Pologne et en Union soviétique[11].

Kundera, toutefois, s’en prend aussi au provincialisme morave, notamment dans les polémiques concernant la décoration du rideau de l’Opéra Janáček nouvellement construit à Brno : « Provincialismus proti umění. Výtvarná výzdoba nové budovy divadla v Brně » (« Le provincialisme contre l’art. La décoration artistique du nouveau théâtre de Brno » [12]). Notons aussi la réaction critique de Kundera au moravisme de ses amis de Brno, au moment où le processus de fédéralisation de la Tchécoslovaquie en 1968 a éveillé le patriotisme morave qui revendique ses droits : « Trialog o zemi Moravské a o Brně » (« Trialogue sur le Pays Morave et Brno »[13]). Le regard que Kundera porte sur Brno reflète d’ailleurs la conscience de la fragilité de la (semi)périphérie de Brno : « Depuis pas mal d’années je vis plus à Prague qu’à Brno, mais je connais bien Brno. C’est une drôle de ville. Ni vraiment un centre ni vraiment province. […] À Brno peuvent s’accomplir des historiens de la littérature, des peintres, des compositeurs, des violonistes, travailler ici toute leur vie — en quoi Brno se distingue des autres villes tchèques […] seulement, pour excellentes que soient leurs activités, elles n’accéderont point à une conscience nationale dont Prague est le cerveau. Brno mérite qu’on le cite en exemple malheureux (quelque légitimes que soient ses prétentions) au rôle d’important foyer de culture.[14]»

La littérature tchèque, lEurope et le monde
Dans les années 1960, Milan Kundera avait déjà acquis une position solide au centre de la culture et de la littérature tchèques en devenant un de ses principaux représentants. Son parcours est étroitement lié aux aléas de l’Union des écrivains tchécoslovaques, à des périodiques de pointe tels que Literární noviny, il fait partie d’une puissante génération d’écrivains, de critiques, de réalisateurs, de musiciens et d’artistes cherchant à rompre avec le dogmatisme et la rigidité idéologique de la décennie précédente. Kundera participe à cet ethos commun. À partir du milieu des années 1950, il formule et cumule des arguments destinés à évincer la servitude idéologique hétéronome de la littérature, à souligner la nécessité d’une continuité avec l’avant-garde d’avant-guerre incarnée pour Kundera par Vítězslav Nezval. Son essai « O sporech dědických » (« Les conflits d’héritage »[15]) a plusieurs objectifs : rétablir la continuité, réhabiliter et restaurer l’autonomie du champ littéraire, et réintégrer la culture tchèque dans le cadre de l’Europe occidentale, qui représente pour la situation semi-périphérique de la culture tchèque la pente naturelle en direction de la centralité. Son ouvrage majeur Umění románu (LArt du roman, 1960) — distinct du même titre publié plus tard en France et consacré au romancier tchèque d’avant-garde Vladislav Vančura — poursuit dans la même direction. Rappelons aussi le poète Kundera, à l’époque, et ses traductions et éditions d’Apollinaire[16].

En même temps, la question de la traduction des auteurs tchèques et la possibilité de participer à la littérature mondiale sont soulevées. Dans son « Rozhovor o světovosti české literatury » (« Entrevue sur la mondialité de la littérature tchèque »[17]), Kundera regrette le manque de traducteurs qui feraient office de médiateurs de la littérature tchèque à l’étranger. La conception qu’a Kundera de la littérature mondiale est progressiste, presque hégélienne (bien que, conformément à l’époque, elle soit masquée par le marxisme) : « Le caractère mondial d’une œuvre d’art ne consiste pas dans le fait qu’elle est traduite, ni dans le fait qu’elle a su, par un savant calcul, ressembler aux conventions des littératures étrangères, mais dans le fait qu’elle résout à sa manière les problèmes artistiques et idéologiques qui sont décisifs pour le développement ultérieur de la littérature mondiale, qu’elle apporte à ce développement sa propre part et sa propre initiative.[18]»

La citation ci-dessus tirée de l’article « Dobývat svět uměním » (« Conquérir le monde par l’art ») anticipe les mêmes questions et les mêmes prises de position que celles du cinquième chapitre « À la recherche du présent perdu » des Testaments trahis (1993) au sujet du compositeur Janáček, bien plus tard. Kundera développe ces idées dans un autre texte de la même période « O světovosti literatury » (« La littérature mondiale » dans la revue Plamen) [19] et dans des discussions, dont nous citons au moins celle qui s’est matérialisée dans les contributions publiées dans Literární noviny (« Diskusně o současných problémech literatury » /« En discutant les problèmes actuels de la littérature »[20]. Outre Felix Vodička, Jan Otčenášek, Jan Procházka, Miroslav Holub, Karel Kosík, Jaroslav Putík et Eduard Goldstücker, Milan Kundera a contribué au débat en ciblant le positionnement de la littérature tchèque dans le contexte universel : « Pour la nation tchèque, un tel « repli » dans sa propre tradition nationale est doublement destructeur, car — du fait des adversités historiques — l’histoire culturelle et surtout littéraire tchèque est fragmentée et incomplète ; elle ne peut devenir un modèle qui permettrait de comprendre les lois de l’histoire culturelle européenne (alors que certaines cultures des grandes nations peuvent devenir un tel modèle).[21]»

Nous pouvons voir que Kundera perçoit nettement la discontinuité semi-périphérique de la littérature tchèque, et en même temps la différence qui distingue la culture tchèque des grandes cultures, à savoir son évidente fragilité et sa remise en question. C’est cette ligne de pensée qui est reprise par le discours de Kundera au IVe Congrès de l’association des Écrivains Tchécoslovaques en 1967[22] et qui se prolonge jusqu’à ses essais en français « Le pari de la littérature tchèque »[23] et « Un Occident kidnappé »[24], le premier ayant été publié non pas en France, mais dans une importante revue périphérique québécoise Liberté.

Le discours de Kundera au IVe Congrès des écrivains est analysé par Tomáš Kubíček[25]. Le point de départ est la constatation de la différence entre les grandes cultures et la culture tchèque. Alors que pour les grandes nations, « l’existence nationale […] est une donnée qui échappe à toute remise en question », pour la nation tchèque, l’existence de la nation « n’a jamais été une donnée, et c’est la non-évidence qui est l’une de ses déterminations distinctives »[26]. Kubíček souligne avec pertinence les antécédents idéologiques de la réflexion de Kundera : František Palacký, František Matouš Klácel et l’orientation pro-occidentale du critique Václav Černý. En plus de la fragilité et de la non-évidence, Kubíček souligne, dans le discours de Kundera, la nécessité de viser l’universalité qui, selon Kundera, impliquerait l’humanisme, la rationalité et l’esprit critique. C’est aussi la voie de l’universalité pour Kundera et ce sera aussi sa voie pour entrer dans la littérature mondiale via la consécration parisienne.

Le Kundera français
L’entrée de Kundera dans le milieu culturel français est impensable sans le concours de plusieurs facteurs favorables. Le premier est l’existence d’une génération culturelle forte. Dans les années 1960, un certain nombre d’auteurs tchèques ont su pénétrer dans les littératures occidentales par le biais de la traduction, pour trois raisons principalement : 1o ils représentaient la possibilité de renouer avec les liens culturels des avant-gardes européennes après l’interruption de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide ; 2o ils offraient une nouveauté périphérique innovatrice pour les centralités de l’Europe occidentale et d’Amérique et pour leurs élites culturelles majoritairement de gauche ; 3o ils formaient une potentialité d’influence accrue des cultures de l’Europe occidentale dans leurs aires périphériques. Les liens culturels n’étaient pas exempts de présupposés et espoirs politiques, car les littératures périphériques polonaise, tchèque et hongroise — du point de vue occidental — jouaient le rôle d’alternatives possibles de la politique culturelle de gauche.

Rappelons que les années 1960 sont aussi un moment où la France et l’Europe occidentale s’approprient un autre espace périphérique, à savoir le roman hispanoaméricain — Borges, Cortázar, García Márquez, Vargas Lhosa — ainsi que les premiers grands créateurs des périphéries décolonisées — Ahmadou Kourouma, Jacques Stephen Alexis, Kateb Yacine, etc.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’intérêt pour la littérature tchèque. Il est clair que sans l’orientation est-européenne des centralités occidentales et sans la force collective des semi-périphéries de l’Europe centrale, l’entrée ultérieure de Kundera parmi les grands aurait été beaucoup plus difficile.

En ce qui concerne la France et les circonstances politiques, ajoutons que la diplomatie du général de Gaulle, dans les années 1960, était également tournée vers l’Est, et que la culture française y jouait un rôle important. L’Institut français de Prague a repris ses activités en 1965 en facilitant l’ouverture et les échanges culturels de part et d’autre.

Outre les conditions générales, le cas de Kundera est caractérisé par des facteurs personnels favorisés, au moment propice, par des circonstances historiques : notons l’amitié d’un important médiateur des relations franco-tchèques, Antonín Jaroslav Liehm, les liens préétablis avec la maison d’édition Gallimard, et l’appui décisif de la préface de Louis Aragon à la sortie de La Plaisanterie en 1968, avec une métaphore pathétique liant la guerre du Biafra au « Biafra de l’esprit » dans la Tchécoslovaquie occupée. Il n’est peut-être pas nécessaire de rappeler l’amitié d’Aragon et du surréaliste et communiste tchèque Vítězslav Nezval et ses liens forts avec la Tchécoslovaquie, soulignés par le doctorat honorifique de l’Université Charles (1962). L’attitude et l’influence d’Aragon au tournant des années 1960 et 1970 ont été cruciales pour la valorisation de la culture tchèque en France.

En 1970, les éditions Gallimard ont publié la traduction française des Risibles amours, suivis, en 1973, par la traduction de La Vie est ailleurs qui a remporté le prix Médicis Étranger au premier tour de scrutin. La pièce Les Propriétaires des clés est jouée à Tours (en 1973) et à Paris (en 1974).

Lorsque Milan Kundera s’installe à Rennes, en 1975, il est déjà connu en France. Une autre étape commence, une autre tâche et un autre objectif s’imposent — sortir de la position périphérique d’un auteur étranger à qui Aragon et les critiques littéraires ont octroyé l’image d’un dissident persécuté, et pénétrer au centre de la littérature française. La question est de savoir comment échapper à la marque de fabrication de victime politique, comment délester la perception de son œuvre, afin qu’elle ne soit pas réduite au témoignage simpliste de la situation de l’autre côté du rideau de fer et, en général, comment parvenir à une perception universelle et autonome de l’œuvre pour la mettre dans la perspective de la littérature mondiale, telle que Kundera l’avait conçue dans ses articles et discours de la période tchèque. Cela n’a pas été facile, car Kundera faisait objectivement partie des exilés et intellectuels que la France soutenait justement à ce titre. Tout en bénéficiant, comme exilé, de la faveur des élites culturelles, il lui fallait briser ce cloisonnement fixé par l’axiologie du champ culturel. En effet, l’exil et l’asile s’inscrivaient parfaitement, de longue date, dans l’image que la culture française se faisait de son rôle progressiste et de son ouverture aux intellectuels persécutés. La tradition remonte au moins au soulèvement polonais de 1830-1831 et à l’afflux d’exilés polonais, dont Adam Mickiewicz était le représentant intellectuel le plus significatif. Il n’a pas été facile pour Kundera de quitter la place assignée par la tradition. Si l’asile intellectuel représentait un point de départ pour un accueil positif qui facilitait contacts, accès aux media, liens personnels et sociaux, il devenait aussi un obstacle et une prison intellectuelle.

Les difficultés auxquelles Milan Kundera s’est heurté sont résumés par Martin Petras dans sa contribution au colloque de Brno consacré à l’écrivain en 2009 « Tři období recepce díla Milana Kundery ve Francii » (« Trois périodes de réception de l’œuvre de Milan Kundera en France »[27]). Petras, comme nous ici, se réfère à l’excellent ouvrage de Martin Rizek Comment devient-on Kundera ? (2001) qui analyse en détails la réception française de Kundera sans acquiescer aux lectures auto-interprétatives du romancier.

La première étape, résume Petras, est liée aux efforts de se débarrasser de l’étiquette politique, celle de dissident et d’exilé, pour être perçu tout simplement comme un écrivain. Il s’agit, entre autres, de sortir de l’ombre d’Aragon, c’est-à-dire de refuser la personnalité de celui qui l’a rendu célèbre et a fait connaître son œuvre. Si dans l’édition révisée de La Plaisanterie de 1980, la préface d’Aragon est maintenue, l’édition suivante de 1985 l’élimine, au prix de commentaires parfois acerbes de la critique[28]. Les années 1970 et 1980 sont pour Kundera une période de la recherche des alliés et une tentative de promouvoir une compréhension plus large de ses nouvelles œuvres — La Valse aux adieux (1976), Le Livre du rire et de loubli (1979) et LInsoutenable légèreté de lêtre (1984). La promotion procède à coups d’articles et de débats télévisés et autres. S’y ajoute la publication d’un recueil d’essais, LArt du roman (1986) — distinct de lArt du roman, dédié au prosateur tchèque Vladislav Vančura (1960) — qui est une première tentative de programmer ses lecteurs modèles.

L’étape suivante s’ouvre avec LImmortalité (1990). Le tournant est à la fois thématique — abandon de la localisation tchèque — et linguistique, car le nom de la mystérieuse traductrice Eva Bloch n’a convaincu personne et la critique a soupçonné Milan Kundera d’avoir été le traducteur de lui-même. Il s’agit de la première tentative importante de pénétrer au cœur du roman français. Or, la critique française s’est montrée cette fois réticente. Michel Polak est radical. « Kundera, go home »[29]. Les attaques de la critique s’intensifient à partir du moment où Kundera, avec ses romans rédigés en français — La Lenteur (1995), LIdentité (1998), LIgnorance (2003) —, revendique le droit d’être considéré comme un auteur français. Mentionnons les réactions de certains à la sortie de LIdentité : « Aridité de la forme, atonie du propos, c’est ce qui saute aux yeux.[30]» « Cette fois-ci, le texte est toujours très construit, mais aride comme une grille de mots croisés, et il est écrit dans un style pauvre, quasi atone […].[31]» « Comment atteindre [une certaine humanité] quand on emploie un français dont la raideur, la pauvreté et l’absence de poésie sont encore aggravées par la volonté de démonstration.[32]»

Outre la thématique c’est la langue qui pose problème, non certes en tant que moyen de communication, mais plutôt sur le plan symbolique d’une appropriation. Les critiques citées rappellent de manière frappante les critiques ultérieures du côté tchèque, selon lesquelles Kundera aurait perdu, suite au séjour prolongé en France, le sens du rythme de la langue tchèque. Mentionnons l’analyse de Zlata Kufnerová « Když autor překládá sám sebe: poznámky k češtině Kunderových románů » (« Quand l’auteur se traduit lui-même : notes sur le tchèque des romans de Kundera »[33]).

Néanmoins, dans le maelström des polémiques et des critiques françaises, Milan Kundera trouve des alliés, et Rizek cite, parmi d’autres, André Clavel comme preuve du succès de Kundera : « Avec L’Identité, Kundera change de registre. À l’humour joyeusement incendiaire de ses romans précédents, il oppose cette fulgurante tragédie. […] un roman terrible, douloureux où nos illusions s’effondrent comme des châteaux de cartes. Du très grand Kundera.[34]»

Milan Kundera a effectué trois fois le parcours de la périphérie au centre. D’abord de Brno à Prague, puis de la semi-périphérie tchèque à la périphérie octroyée au sein du champ littéraire français, enfin de la périphérie française à son centre. Ajoutons à cela une quatrième démarche — la consécration mondiale — dans laquelle la centralité parisienne s’est avérée de la plus haute importance. Par cette consécration, toutefois, la centralité parisienne se trouvera elle-même dépassée.

La stratégie de Milan Kundera et son Europe centrale
La cohérence des démarches de Kundera semble, à distance du temps, admirable et curieusement simple. Le regard éloigné est cependant trompeur, car le processus de l’affirmation de soi est complexe, fait d’avancées, de retours, d’hésitations au fur et à mesure d’arguments, controverses, programmes de télévision et de radio, critiques, articles, interviews.

Une partie considérable des interventions de Kundera est consacrée au roman, à l’art, à l’écriture, donc à l’affirmation de son propre point de vue et à la formation de son lecteur modèle. Il y a cependant une autre série de textes et interventions dont le point commun est la promotion de la périphérie : ici, Kundera agit souvent comme celui qui, venant de l’extérieur, valorise des créateurs moins ou peu connus, marginalisés ou appartenant à des littératures mineures. Mentionnons postfaces, préfaces, quatrièmes de couverture et critiques, qui sont consacrées à des traductions d’auteurs tchèques — Václav Havel, Bohumil Hrabal, Pavel Řezníček, Josef Škvorecký, Jan Trefulka — auxquels s’ajoute aussi le Macédonien Venko Andonovski. Kundera contribue à valoriser l’originalité du Martiniquais Patrick Chamoiseau qui obtiendra le prix Goncourt, il fait connaître le Polonais Marek Bienczyk, etc. Les exemples sont nombreux[35].

Le choix de la langue et la question de la traduction sont des points sensibles de la stratégie de la réussite. Il ne s’agit pas seulement de l’insistance proverbiale de Kundera sur la précision de l’expression. Dans ses essais publiés dans Kmen « Já truchlivý Bůh. Poznámky k paradoxnímu žertu v díle Milana Kundery » (« Moi, Dieu dolent. Notes sur la plaisanterie paradoxale dans l’œuvre de Milan Kundera »[36]), Radko Pytlík souligne la présence de l’intentionnalité de Kundera qui anticiperait, au cours de l’écriture même, l’éventualité d’une future traduction et impliquerait une démarche qui semble viser le dépassement du public d’une littérature nationale. On peut certainement trouver ici un lien avec l’observation faite par Kundera dans les années 1960 sur le manque de traducteurs de la littérature tchèque vers d’autres langues et son désir implicite d’être traduit. La fine observation de Pytlík renvoie non seulement à la question de la langue et du style, mais aussi à celle de la poétique et de l’intention créatrice. L’une des observations réitérées du roman biographique de Jan Novák[37] est que Kundera ne différencie pas la langue de ses personnages de celle des narrateurs. La critique de Novák semble regretter l’absence, chez Kundera, de l’approche mimétique qu’il considère, lui, comme naturellement viable pour le roman. Or, le langage de Kundera réside au contraire dans la perturbation du principe mimétique. L’analyse de Tomáš Kubíček dans Středoevropan Milan Kundera est exemplaire à ce propos. Ce que nous aimerions appeler, plus radicalement que Kubíček, l’antimimétisme, Kubíček l’associe à un contre-mouvement face au modernisme, c’est-à-dire à une sorte d’antimodernisme moderniste, distinct du modernisme du tournant des XIXe et XXe siècles aussi bien que de la fiction postmoderne[38]. Kubíček illustre son propos en comparant Hermann Broch et Kundera : « Le lecteur […] est obligé de combler le vide d’un monde dont les valeurs disparaissent. Telle est la nature inhérente de ce projet esthétique, son éthique, comme l’appelle Broch, et sa noétique, comme l’appelle Kundera. Retracer les processus de désintégration des valeurs est en fait une manière d’affirmer leur sens. C’est peut-être aussi la caractéristique la plus importante qui distingue les mondes fictifs des romans modernes de leurs successeurs postmodernes.[39] »

Complétons le raisonnement de Kubíček par d’autres arguments sur l’antimodernisme moderne qui distingue Kundera du postmodernisme, notamment les topoi du temps et du changement dans le temps, qui incluent les topoi de l’histoire, de la mémoire et de l’oubli. La présence insistante du temps dissocie Kundera de la dominante spatiale qui caractérise la pensée des théoriciens postmodernes tels qu’Édouard Glissant, Homi Bhabha[40] et d’autres. Cependant, l’approche de Kundera de l’histoire et du temps est métahistorique et donc antimimétique, puisque ce n’est pas tant l’histoire et la facticité elles-mêmes qui importent, mais la réflexion sur l’histoire.

Relions cette approche à la conception kunderienne de l’ontologie du roman et rappelons les affinités entre ce qu’il nomme la troisième phase de l’évolution du roman, la sienne, et la toute première phase, notamment le XVIIIe siècle français. Notre propos ici n’est pas de souscrire aux idées de Kundera et à sa justification de la nécessité de dépasser la deuxième phase caractérisée par l’implication de l’histoire dans le roman de type balzacien et scottien au XIXe siècle[41]. Nous voulons plutôt mettre en évidence les éléments qui permettent à Kundera de s’inscrire, sur ce point, dans la tradition française, comme il l’a déjà fait, pour la tradition tchèque dans sa période pragoise. Les deux reconnaissances de la tradition servent d’appui à la percée vers la position centrale du champ littéraire. Elles sont similaires, mais en même temps différentes. La démarche tchèque avait été liée à la reconquête de l’autonomie du champ littéraire. La démarche française — par le rappel de l’âge des Lumières, de son rationalisme, de son exigence classiciste de clarté et de précision — vise l’universalité et une continuité dans l’universalité. Et cet intérêt pour le siècle des philosophes du XVIIIe siècle est complété, chez Kundera, par le tournant phénoménologique des XIXe et XXe siècles, qui a permis une nouvelle pénétration de la réflexion philosophique dans l’expression littéraire, notamment le roman. Ici aussi, Kundera se conforme à la réception française, car il suit à sa manière les apports de Sartre, de Camus et du nouveau roman intellectualisant, corroborés par l’intellectualisme et le goût pour la littérature philosophique du public français. La réflexion de Kundera et le lien qu’il établit entre le XVIIIe et le XXe siècle dans sa conception de l’ontologie du roman s’inscrivent ainsi doublement dans le contexte de la littérature et de la réception française. Comme Petras  et Suchomelová  le constatent[42], les essais — LArt du roman (1986), Le Rideau (2005), Une Rencontre (2009) — ont été généralement accueillis plutôt positivement, contrairement aux romans en langue française.

Dans un passage de la quatrième section du chapitre neuf des Testaments trahis « Là, vous n’êtes pas chez vous, mon cher », largement consacré à Gombrowicz, Kundera déplore que le roman philosophique Ferdydurke de l’exilé polonais soit resté méconnu au moment de sa publication (1937) en raison de la marginalité de l’auteur, et que cette place ait été occupée par La Nausée de Sartre (1938), un roman à thèse, aux dires de Kundera, plutôt qu’un véritable roman[43]. En même temps, Kundera note que la véritable percée de Gombrowicz, Musil, Broch et Kafka n’a eu lieu que trois décennies plus tard, en fait trop tard pour que soit évaluée à juste prix la signification révolutionnaire de Gombrowicz en termes de l’évolution du roman[44]. Ici encore, Kundera offre une réflexion que nous pouvons, à notre tour, interpréter dans le cadre de la relation centre-périphérie comme une des voies par laquelle la périphérie s’intègre dans la centralité par le biais de la reconnaissance mondiale comme faisant partie de la Weltliteratur. Il signale aussi la problématique du décalage temporel ou plutôt des temporalités différentes régissant le centre et la périphérie.

Résumons les éléments précédents, quelque peu disparates, mais qui se complètent au sein de la stratégie kunderienne : le travail universalisant et rationnel sur la langue et le style, la valorisation de la périphérie, la continuité de la tradition et le lien déclaré avec les Lumières françaises, enfin l’inscription de son œuvre dans sa propre conception de l’histoire du roman. Ces éléments constitutifs de la stratégie visent à faire sortir le romancier de son statut d’auteur dissident et témoin de la situation de l’au-delà du rideau de fer et à lui négocier une place au cœur de la culture française et, par le biais de celle-ci, au cœur de la littérature universelle. Un argument de poids de cette stratégie, comme l’a remarqué Václav Bělohradský, est la promotion de l’Europe centrale : « L’exilé Milan Kundera, a inventé un piège spectaculaire pour ses lecteurs occidentaux : l’Europe centrale. Des foules de lecteurs pris au piège se sont mis à lire des auteurs d’Europe centrale peu connus en France, Broch et Musil en particulier, et sont ainsi devenus des lecteurs modèles des textes de Kundera. […] La disparition de l’Europe centrale de la mémoire des Européens est ainsi devenue une culpabilité, une trahison d’eux-mêmes, dont les lecteurs occidentaux de Kundera ont cherché à se purger. Le rideau de séparation d’idées Est-Ouest éclate et derrière lui apparaît l’Europe de Kafka, Freud, Kraus, Wittgenstein, Broch, Musil, Hašek, à laquelle l’auteur Kundera commence à appartenir aux yeux de ses lecteurs occidentaux — et devient ainsi un auteur modèle. La lutte que Kundera a menée contre la préfabrication bipolaire est un grand don à la culture européenne.[45]»

Tout comme Kundera a pu s’appuyer sur la force de la culture tchèque lors de son entrée en France à la fin des années 1960 et dans les années 1970, il s’est appuyé, après son installation en France, sur un espace périphérique plus large dont il a lui-même contribué à découvrir et à promouvoir les qualités. Le centre-européanisme de Kundera n’a pas cependant qu’un aspect culturel et politique, mais il est étroitement lié à la conception qu’il a de son œuvre et à son lien avec la poétique de Hermann Broch, Robert Musil et Franz Kafka, comme le démontre de manière convaincante Tomáš Kubíček dans Středoevropan Milan Kundera.

En ce qui concerne la relation centre-périphérie, le centre-européanisme de Kundera présente plusieurs aspects. Outre la valorisation d’un espace qui apparaissait périphérique par rapport à la centralité française et que Kundera a contribué à y intégrer, y compris lui-même, il y a un aspect temporel intéressant, à savoir la mise en relief du passé et du décalage temporel. L’Europe centrale de Kundera est une Europe qui existait déjà, mais qui n’a pas été reconnue par le centre à l’époque. Mutatis mutandis, nous sommes confrontés aux réflexions d’une auteure restée longtemps périphérique, Marguerite Yourcenar, sur une temporalité différente de la périphérie et sur la possibilité de neutraliser la force paradigmatique du méridien de Greenwich de Pascale Casanova là où la périphérie atteint une universalité intemporelle : « Le grand style des fonts baptismaux de Saint-Barthélemy, sculptés vers 1110, semble en avance de quatre siècles ou en retard d’un millénaire. D’une part, il prélude aux drapés et aux nus savants de Ghiberti ; de l’autre, ce dos musclé du légendaire philosophe Craton recevant le baptême nous ramène aux bas-reliefs de la Rome d’Auguste. Cette œuvre de Renier de Huy, qui modelait à l’antique, fait irrésistiblement rêver à un philosophe du pays de Liège qui pensa à l’antique un siècle plus tard, et fut brûlé à Paris en 1210 sur l’emplacement actuel des Halles pour s’être inspiré d’Anaximandre et de Sénèque, le panthéiste David de Dinant. Quis est Deus ? Mens Universi. […] Placé entre la Cologne d’Albert le Grand et le Paris d’Abélard, en contact avec Rome et Clairvaux par le va-et-vient des clercs et des hommes d’Église, Liège reste, jusqu’à la fin du XIIIe siècle une étape sur les routes de l’esprit.[46]»

Milan Kundera procède, systématiquement, de manière similaire. Comme le démontre Tomáš Kubíček, il le fait non seulement sur le terrain de l’esthétique, mais — en affirmant les valeurs par leur mise en question et négation paradoxales — au sein de l’axiologie avec un chevauchement entre la noétique et l’éthique.

Le centre-européanisme de Kundera, mais aussi sa relation aux Lumières, offrent cependant un autre avantage stratégique, à savoir sa distance par rapport à ce que nous pourrions appeler la contemporanéité littéraire française. Cette distance est à la fois interne, soulignée par la réticence de Kundera de s’engager dans l’espace médiatique durant les dernières décennies, mais elle est aussi externe. Comme indices de la distance externe, relevons le fait que Milan Kundera a publié certaines de ses œuvres françaises d’abord en traduction à l’étranger, avant leur sortie en France. C’est le cas du roman LIgnorance, publié d’abord en traduction espagnole (2000), puis en France (2003), et de La Fête de linsignifiance, publiée en Italie (2013), un an avant l’original français (2014). On peut y entrevoir la méfiance de l’auteur après l’accueil froid de ses romans rédigés directement en français par une partie de la critique française. Mais c’est aussi la preuve du succès international et de l’entrée dans l’universel qui lui permettent de faire valoir cet argument auprès du public français et de s’affirmer dans le milieu français via la réception externe, mondiale, supérieure du fait de la centralité du marché mondialisé du livre.

Conclusion
Nous avons tenté d’esquisser les facteurs qui ont accompagné le parcours d’un écrivain morave, originaire de Brno, dans son effort de s’affirmer à tour de rôle, dans le champ littéraire tchèque, français et en enfin mondial en transcendant les limitations périphérisantes locales, régionales et nationales.

Dans la perspective de la relation entre centralité et périphéricité, nous avons essayé de saisir l’interaction des différentes composantes du processus. Malgré son entrée dans la Weltliteratur, Milan Kundera n’a pas cessé d’être un auteur de Moravie et de Brno, tout comme il n’a pas cessé d’être un poète, un dramaturge et un romancier tchèque, pas plus qu’il n’a cessé d’être un essayiste et un romancier français. Toutes les raisons de le placer dans un contexte ou un autre se retrouvent dans son œuvre. Mais il est également devenu un auteur qui appartient à tous ceux qui souhaitent le placer, pour son universalité, dans leur propre contexte culturel. Ce fait même crée aussi une distance, pour l’auteur, par rapport à toute appropriation ou rejet.

Nous n’avons pas abordé ici la réception des ouvrages français de Milan Kundera dans le milieu tchèque, à commencer par la critique de Milan Jungmann dans « Les Paradoxes de Kundera » (Jungmann 1986/1987) qui vise justement les textes de Kundera déjà destinés à la réception française, à savoir Le Livre du rire et de loubli et LInsoutenable légèreté de lêtre. Nous avons également négligé les expressions du désamour du milieu tchèque face à un écrivain qui, dans les années 1990, s’est comporté de manière très différente de la plupart des écrivains exilés qui sont retournés en Tchéquie en réintégrant le contexte tchèque. Toujours est-il que l’attitude de Kundera à l’égard du milieu français était constamment similaire à celle qu’il adoptait à l’égard de la réception tchèque. Le but visé, à ce qu’il semble, est une position autonome au sein du canon non seulement de la littérature française ou tchèque, mais de la littérature tout court.

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N o t e s
[1] STANGER, A. K. : Hledání Žertu. Otevřený dopis Milanu Kunderovi. In : Literární noviny. 5. 3. 1997, nos 8, 9, p. 10-11: „fakticky zatemňují složitosti české poválečné historie a vykreslují ji v souladu s převažujícími západními předsudky“. Texte anglais https://cat.middlebury.edu/~nereview/18-1/Stanger.html (18.4. 2022).
[2] HYBLER, M. : Milan Kundera ou Les Grandes trahisons. In : RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera ? Paris : L’Harmattan 2001, p. 231.
[3] SUCHOMELOVÁ, L. : Recepce Milana Kundery v českém a francouzském kulturním prostředí. Thèse de doctorat.  Praha : Filozofická fakulta Univezity Karlovy 2018, p.332 sqq. https://dspace.cuni.cz/handle/20.500.11956/103321.
[4] KUNDERA, M. : Jan Skácel mne poutá k češtině. In : KŘÍŽ, J. P. (éd.): Český spor o Milana Kunderu. Praha : Galén 2021. p. 241.
[5] KŘÍŽ, J. P. : Lesk a bída jedné dezinterpretace nebo také Elitář, život, doba a neználek. In : KŘÍŽ, J. P. (éd.) : Český spor o Milana Kunderu. Praha : Galén 2021, p. 79.
[6] RIZEK, M. : Opony Milana Kundery. In : FOŘT, B. – KUDRNÁČ, J.- KYLOUŠEK, P. (éds.) : Milan Kundera aneb Co zmůže literatura? Brno: Host 2012, p. 258: „Lze tedy, ba je nutné, číst [Kunderovy] postřehy o spisovatelích Kafkovi a Gombrowiczovi či skladatelích Janáčkovi a Stravinském jako pokračování (nepřímo, odrazem) Kunderova komentáře sebe sama.“
[7] KUNDERA, M. : Les Testaments trahis. Paris : Gallimard 1993, p.163-164.
[8] Ibid., p. 165.
[9] Ibid., p. 163.
[10] KUNDERA, M. : Zamyšlení nad hrnčířským kruhem. In : Kultura 1961, a. 5, 1961, no 4, p. 10. KUNDERA, M. : Svatobořice a tak dál… In : Kultura 1961, a. 5, 1961, no 49, p. 6-7.
[11] KUNDERA, M. : Ať žije. Centralizace kultury a umění v Praze. In : Kultura 1960. a. 4, 1960, no 5, p. 2: „přílišná kulturní centralizace je naší věkovitou nemocí“, že „všechno významné je v Praze […] a všechno mimopražské je považováno za méně významné“.
[12] KUNDERA, M. : Provincialismus proti umění. Výtvarná výzdoba nové budovy divadla v Brně. In : Kultura 1960, a. 4, 1960, , no 38, p.5.
[13] KUNDERA, M. et alii : Trialog o zemi Moravské a o Brně. Přisp. Hynek Bulín, Milan Kundera, Vladimír Blažek, Milan Uhde, Josef Válka. In : Host do domu, a. 15, 1968, no 8, p. 28-35.
[14] LIEHM, A. J. : Trois générations. Entretiens sur le phénomène culturel tchécoslovaque. Paris : Gallimard 1970, p. 94.
[15] KUNDERA, M. : O sporech dědických. In : Nový život, 1955, no 12, p. 1290-1306.
[16] APOLLINAIRE, G. : Pásmo a jiné verše. Praha : SNKLHU 1958. Apollinaire, G. : Alkoholy života. Praha : Československý spisovatel 1965.
[17] KUNDERA, M. : Rozhovor o světovosti české literatury. In : Literární noviny, a. 13, 1964, . nos 51-52, p. 14.
[18] KUNDERA, M. : Dobývat svět uměním. In : Mladá fronta, 9. 5. 1963, p. 6: „Světovost uměleckého díla není v tom, že je překládáno, ani v tom, že se s chytráckou vypočítavostí naučilo podobat konvencím cizích literatur, nýbrž v tom, že po svém řeší umělecké a myšlenkové problémy, jež jsou rozhodující pro další vývoj světové literatury, že do tohoto vývoje vnáší svůj podíl a vlastní iniciativu.“
[19] KUNDERA, M. : O světovosti literatury. Plamen, a. 5, 1963, no 3, p. 121-122.
[20] KUNDERA, M. et alii : Diskusně o současných problémech literatury. Přispěli Felix Vodička, Jan Otčenášek, Jan Procházka, Miroslav Holub, Karel Kosík, Jaroslav Putík, Eduard Goldstücker, Milan Kundera. In : Literární noviny, a. 14, 1965, no 23, p. 1 et 3
[21] Ibidem: „Pro český národ je takové „zavinutí“ do vlastní národní tradice dvojnásob zhoubné, protože česká kulturní a zejména literární historie dík dějinné nepřízni je zpřetrhaná a neúplná; nemůže se stát modelem, na němž by se daly pochopit zákony evropské kulturní historie (jako se takovým modelem mohou stát některé kultury velkých národů). “
[22] KUNDERA, M. : Vážení přátelé… In : IV. sjezd Svazu československých spisovatelů (Protokol). Praha : Československý spisovatel 1968, p. 22-28.
[23] KUNDERA, M. : Le pari de la littérature tchèque. In : Liberté, a. 23, 1981, no 3, p. 6–12.
[24] KUNDERA, M. : Un Occident kidnappé. In : Le Débat, 1983, no 27, p. 3-12.
[25] KUBÍČEK, T. : Středoevropan Milan Kundera. Olomouc : Periplum 2012, p. 93-97.
[26] KUNDERA, M. : Vážení přátelé… In : IV. sjezd Svazu československých spisovatelů (Protokol). Praha : Československý spisovatel 1968, p. 23: „národní existence […] daností, povýšenou nad jakékoli tázání“, pro český národ nebyla existence národa „nikdy samozřejmostí a právě nesamozřejmost patří k nejvýraznějším určením“.
[27] PETRAS, M. : Tři obdob recepce díla Milana Kundery ve Francii. In : FOŘT, B. – KUDRNÁČ, J. – KYLOUŠEK, P. (éds.) : Milan Kundera aneb Co zmůže literatura? Brno : Host 2012, p. 170-194.
[28] RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera ? Paris : L’Harmattan 2001, p. 251-266, chapitre « L’évolution du péritexte ».
[29] POLAK, M. : Kundera, do home. In : L’Événement du jeudi, janvier 1990. In : Rizek, M. : Comment devient-on Kundera? Paris : L’Harmattan 2001, p. 246.
[30] DELBOURG, P. : La chute de la maison Kundera. In : L’Événement du jeudi, 29.1-4.2. 1998, p. 70-71. In : RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera? Paris : L’Harmattan 2001, p. 247.
[31] GAUDEMAR, A. de : Rattage de Milan. Libération, 15.1. 1998. In : RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera? Paris : L’Harmattan 2001, p. 247.
[32] RINALDI, A. : Chronique littéraire. In : L’Express, 15.1. 1998. In : RIZEK, M.:. Comment devient-on Kundera ? Paris : L’Harmattan 2001, p. 247.
[33] KUFNEROVÁ, Z. : Když autor překládá sám sebe: poznámky k češtině Kunderových románů. In : Slovo a slovesnost, a. 69, 2008, no 4, p. 259-267.
[34] CLAVEL, A. (1998) : Kundera d’amour et d’eau trouble. In : Journal de Genève, 1998, no 181. p.17. In : RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera ? Paris : L’Harmattan 2001, p. 248.
[35] SUCHOMELOVÁ, L. : Recepce Milana Kundery v českém a francouzském kulturním prostředí. Thèse de doctorat. Praha: Filozofická fakulta Univezity Karlovy 2018, passim. https://dspace.cuni.cz/handle/20.500.11956/103321 (22.4. 2022). RIZEK, M. : Comment devient-on Kundera ? Paris : L’Harmattan 2001, p. 193 sqq.
[36] PYTLÍK, R. : Já truchlivý Bůh. Poznámky k paradoxnímu žertu v díle Milana Kundery. In : Kmen 1989, no 50, p. 6-7 et Kmen 1989, no 51, p. 5.
[37] NOVÁK, J. : Kundera. Český život a doba. Praha : Argo : Paseka 2020.
[38] KUBÍČEK, T. : Středoevropan Milan Kundera. Olomouc : Periplum 2012, p. 31-32.
[39] KUBÍČEK, T. : Středoevropan Milan Kundera. Olomouc : Periplum 2012, p. 72: „Čtenář […] je nucen zaplnit prázdné místo světa, z něhož se vytrácejí hodnoty. To je vlastní povaha tohoto estetického projektu, jeho etiky, jak o tom mluví Broch, a jeho noetiky, jak to označuje Kundera. Sledování procesy rozpadu hodnot je ve skutečnosti způsobem potvrzování jejich významu. Což je zároveň asi nejdůležitější rys, který odlišuje fikční světy moderních románů od jejich postmoderních nástupců.“
[40] GLISSANT, É. : Introduction à une poétique du divers. Paris : Gallimard 1996. GLISSANT, É. : Traité du tout-monde. Poétique IV. Paris : Gallimard 1997. BHABHA, H. K. : The Location of Culture. London : Routledge Classics 2004.
[41] KUNDERA, M. : Les Testaments trahis. Paris : Gallimard 1993, p. 153-155, passim. KUNDERA, M. : Zneuznávané dědictví Cervantesovo. Brno : Atlantis 2005.
[42] PETRAS, M. : Tři obdob recepce díla Milana Kundery ve Francii. In : FOŘT, B.- KUDRNÁČ, J.- KYLOUŠEK, P. (éds.) : Milan Kundera aneb Co zmůže literatura? Brno : Host 2012, p. 194. SUCHOMELOVÁ, L. : Recepce Milana Kundery v českém a francouzském kulturním prostředí. Thèse de doctorat. Praha : Filozofická fakulta Univezity Karlovy 2018, passim. https://dspace.cuni.cz/handle/20.500.11956/103321 (22.4. 2022).
[43] KUNDERA, M. : Les Testaments trahis. Paris : Gallimard 1993, p. 290-294.
[44] KUNDERA, M. : Les Testaments trahis. Paris : Gallimard 1993, p. 294.
[45] BĚLOHRADSKÝ, V. : Kunderův sen o absolutním autorství. In : KŘÍŽ, J. P. (éd.) : Český spor o Milana Kunderu. Praha : Galén 2021, p. 225: „Exulant Milan Kundera například vynalezl velkolepou past na své západní čtenáře — střední Evropu. Zástupy čtenářů v ní chycených začaly číst ve Francii nepříliš známé středoevropské autory, Brocha a Musila především, a stávaly se tak modelovými čtenáři Kunderových textů. […] Zmizení střední Evropy z Paměti Evropanů se tak stalo vinou, zradou na sobě samých, od níž se západní čtenáři Kundery snažili očistit. Myšlenkový panel Východ-Západ pukl a za ním se objevila Evropa Kafky, Freuda, Krause, Wittgensteina, Brocha, Musila, Haška, k níž autor Kundera v očích svých západních čtenářů začal patřit — a stal se tak autorem modelovým. Boj, který Kundera svedl s bipolárním panelákem, je velký dar evropské kultuře. “
[46] YOURCENAR, M. : Souvenirs pieux. Paris : Gallimard 1974, p. 78-79.

Petr Kyloušek
Université Masaryk
kylousek@phil.muni.cz

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