Une lecture topologique des ouvrages de Victor Segalen


Eszter Turai: Une lecture topologique des ouvrages de Victor Segalen [A Topological Reading of Victor Segalen’s Works]. In: Ostium, vol. 19, 2023, no. 2.


Abstract: The aim of this study is to present the works of Victor Segalen from a topological point of view, based on Gaston Bachelard’s work entitled The Poetics of Space in which he applies his method to places of intimacy. In this study, the focus is on the periphery, i.e. the representation of Tahiti and its culture which appears in Segalen’s work. On the basis of this method, the two concepts of the Self and the Other are analysed in the writings of the author. The following questions will be answered: How is the European traveller perceived by indigenous people? How is the native represented in the Segalen’s works?

Keywords: exoticism, diversity, Self, Otherness, savage, aesthetics

Résumé : Dans notre étude, nous voudrions présenter les œuvres de Victor Segalen d’un point de vue topologique, en nous appuyant sur l’œuvre de Gaston Bachelard intitulée La poétique de l’espace, dans laquelle les lieux d’intimité sont analysés. Nous nous concentrons sur le concept de la périphérie, c’est-à-dire la représentation de Tahiti et sa culture, telle qu’elle apparaît dans l’œuvre de Segalen. Nous voudrions analyser la relation entre le Moi et l’Autre (le dehors et le dedans) dans les écrits de Segalen. Nous traiterons les questions suivantes : comment le voyageur européen est-il perçu par des indigènes ? Comment l’indigène est-il représenté dans les œuvres de l’écrivain ?

Mots-clés : exotisme, diversité, Soi, Autrui, esthétique, topologique

Introduction

Dans cette étude, nous tâcherons de présenter les œuvres de Victor Segalen d’un point de vue topologique, afin de faciliter la compréhension de l’esthétique de l’écrivain et sa manière de représenter la relation du Moi et de l’Autre.

Nous étudierons trois œuvres de Segalen qui sont les suivantes : l’Essai sur l’exotisme. Une esthétique du Divers, Penser Païens et Les Immémoriaux. Pour l’analyse de ces ouvrages, nous nous penchons sur La poétique de l’espace de Gaston Bachelard afin de déterminer d’abord les concepts de dedans et de dehors. Bachelard utilise la méthode de la phénoménologie pour comprendre et expliquer le concept de l’image poétique. Il affirme que les disciplines fondées sur la causalité, telles que la psychologie et la psychanalyse, sont incapables de définir l’ontologie poétique, puisque ni la culture littéraire, ni la perception (psychologique) ne peuvent nous aider à interpréter l’image poétique[1]. Le poète crée notamment son propre langage au sein de sa langue maternelle lors de la création de l’image poétique, c’est-à-dire, il crée et utilise un langage individuel qui engendre ses propres espaces linguistiques. Selon le philosophe, l’analyse topologique est nécessaire pour comprendre ces espaces linguistiques. Nous nous appuyons sur cette méthode d’analyse susceptible afin d’observer et de comprendre l’espace créé par Segalen. Bachelard met notamment au centre le langage poétique qui est étudié dans les espaces parlés vu que l’imaginaire des espaces est indissociable du langage[2]. L’apparition des images poétiques dans sa phénoménologie ne dépend pas du support sensoriel, car Bachelard analyse « toutes les formes de surgissement d’images »[3].

Nous avons également l’intention d’explorer les pratiques narratologiques de l’écrivain. Segalen place notamment l’homme Mao’hi au centre de ses textes et tâche de donner une image de la période coloniale et de celle qui a suivi à travers les yeux du peuple Mao’hi.

Cette méthode transdisciplinaire aidera à comprendre la représentation de la culture mao’hienne par Segalen. Dans notre étude, nous distinguons deux types d’espace : le premier espace correspond à l’époque qui coïncide avec l’expérience directe de l’écrivain sur l’île, le deuxième espace présenté au lecteur est l’espace où la présence de la culture Mao’hi est en train de disparaître.

L’esthétique ségalénienne
Pour mieux comprendre les ouvrages de Segalen, nous trouvons utile de présenter son esthétique de l’exotisme qui explicite la manière de penser de l’écrivain. L’Essai sur l’exotisme, Une esthétique du Divers (1955[4]) n’est pas un essai au sens strict du terme puisqu’il est marqué par l’écriture discontinue : en effet, nous y trouvons des phrases, des explications et des descriptions fragmentaires, c’est-à-dire le plan d’un essai. Sous la forme qui nous est parvenue, le livre se compose de notes qui auraient dû servir de base à un essai cohérent, mais l’édition contient aussi des lettres interposées pour parfaire la compréhension du texte. Les lettres ont été ajoutées par la fille de l’auteur, Annie Joly-Segalen pour la parution de l’œuvre en 1978.

Nous nous appuyons donc sur les notes de Segalen, pour tenter d’y trouver une définition de l’exotisme, tout en sachant que restituer sa réflexion à l’égard de l’exotisme sur la base de cet « essai fragmentaire » s’avère une tâche difficile. L’écrivain examine le terme de différents points de vue, par exemple le rapport de l’exotisme et de la nature, celui de l’exotisme et des plantes, aussi bien que l’exotisme para-sensoriel qui inclut également le rôle déterminant des sens. À propos de la représentation des sens, nous voudrions évoquer l’œuvre de Bertrand Westphal intitulée La Géocritique, Réel, Fiction, Espace. Westphal établie une méthode qui se base sur plusieurs éléments, mais nous voudrions souligner un élément, qui est la polysensorialité. Dans cet œuvre géocritique, l’auteur décrit brièvement l’histoire et la hiérarchie des sens.  Il souligne que, d’une culture à l’autre, les différents sens peuvent jouer des rôles distincts. Comme le montre l’ouvrage de Segalen, l’homme européen donne la priorité à la vue, tandis que l’indigène privilégie les sens inférieurs, comme l’odorat et le goût. Cet élément de géocritique est la polysensorialité qui aide à analyser des œuvres littéraires, puisque les différents sens deviennent une partie importante de la narration de l’histoire[5].

Nous voudrions mentionner à ce propos que Segalen décrit les sensations afin de faire ressentir au lecteur l’exotisme (avant tout à l’aide des sons et des odeurs)[6] dans ses écrits. Selon Segalen, il y un terme essentiel qui dote l’exotisme d’une signification plus profonde : c’est la diversité. D’après lui, c’est le sentiment du Divers qui nous aide à ressentir l’exotisme et ce sentiment est représenté sous forme des sens, ainsi que des espaces différents des nôtres, à savoir ceux des autres cultures qui nous mènent à la connaissance de l’Autre. Dans la citation suivante, puisée dans son essai, l’écrivain établit le lien entre la compréhension de l’exotisme et le concept du Divers :

 

« Et en arriver très vite à définir, à poser la sensation d’Exotisme : qui n’est autre que la notion du différent ; la perception du Divers : la connaissance que quelque chose n’est pas soi-même ; et le pouvoir d’exotisme, qui n’est que le pouvoir de concevoir autre. »[7]

 

En ce qui concerne la notion du Divers, l’écrivain essaie d’en donner une définition universelle qui se rapporte à un sentiment fort, définitif et captivant. Le sentiment du Divers, pour lui, c’est la perception de l’universelle beauté du monde qui offre une autre vision du monde :

 

« Exotisme qu’il soit bien dit que moi-même je n’entends par là qu’une chose, mais universelle : le sentiment que j’ai du Divers ; et, par esthétique, l’exercice de ce même sentiment ; sa poursuite, son jeu, sa plus grande liberté ; sa plus grande acuité : enfin sa plus claire et profonde beauté. »[8]

 

Bien que le terme d’exotisme lui-même attire notre attention sur le monde qui nous entoure (le dehors), le fait de le vivre, de le ressentir, crée un sentiment intérieur (le dedans). L’exotisme signifie de ne pas être soi-même, mais d’entrer dans un autre univers, un autre monde qui nous offre un sentiment paradoxal : à la fois celui de la familiarité et de la différence. La vie de l’écrivain est en effet celle d’une constante délocalisation, avec des périodes de résidence en France ou à l’étranger, pour de courtes ou de longues durées. Son choix de sujets et son style sont également marqués par une intimité qui cherche à faire connaître son propre point de vue, tout en accordant de l’espace à l’Autre, le traitant ainsi en tant que son égal. L’écrivain a fait l’expérience de la solitude avant tout lors de ses voyages. Le type de voyageur qu’il a créé est l’exote, à savoir un individu à la personnalité forte, qui est extrêmement à l’aise avec le changement et se sent chez lui où qu’il soit[9]. L’exote n’a pas besoin de quatre murs solides et d’un toit pour se sentir « chez lui », puisqu’il emporte partout avec lui ce sentiment intime, faisant du monde sa maison.

La brève présentation de l’esthétique de Segalen nous permet d’aborder par la suite une de ses œuvres qui est peut-être moins connue que son essai fragmentaire.

Penser Païens
Ce texte de Segalen est un dialogue philosophique entre un Mao’hi et un Européen[10]. Selon Henry Bouiller, il est inspiré par le style d’écriture de Diderot[11]. Il est publié pour la première fois par les éditions Fata Morgana en 1975. Dans cette dialogue, l’Européen, appelé L’Homme au Bon-Parler, développe l’idée que la « race mao’hienne et sa culture auraient eu besoin d’un grand poète afin d’éterniser »[12] et de sauver la culture mao’hienne[13]. Les premières phrases de l’ouvrage donnent une ambiance pessimiste liée à l’avenir sombre des Mao’hi [14]:

 

« Le païen qui pensait ce qui va suivre n’a probablement jamais existé. Surtout il n’existera jamais. On le suppose né chez un peuple qui se meurt, et fils imaginaire d’une race qui se tait avant d’avoir pu fixer ses mots : c’est un Maori de Polynésie. »[15]

 

C’est surtout l’Européen qui mène le dialogue. Il n’est pas surprenant de le voir accentuer le rôle considérable des Européens qui ont gardé des souvenirs écrits de la culture mao’hienne et leurs coutumes. La supériorité de l’Européen semble hautaine envers le Mao’hi au début, mais cela change au cours du texte :

 

« C’est nous, Européens curieux et ingénieux, qui avons recueilli ces dires au moment même qu’ils allaient mourir, et qui les avons depuis retournés, commentés, expliqués parfois non sans peine. Car ils sont peu nombreux et mal transmis : vous, vous les laissiez perdre, vous les aviez presque perdues. Vous avez trahi votre lignée et maintenant vous vous reniez avec désinvolture. »[16]

 

L’Européen attire l’attention sur le fait que les Mao’hiens ont perdu leur culture suite à l’égard de leur attitude indifférente. Il existe néanmoins quelques notes prises par les colonisateurs, mais à cause du manque de la connaissance de la langue tahitienne[17] et de la culture mao’hienne, elles n’offrent pas une représentation réelle et authentique. En ce qui concerne l’acquisition de la langue, Diderot la trouve indispensable quand on voyage un nouveau pays afin de recueillir le plus d’informations possible sur la culture[18]. Ce fait est constaté aussi par Michel Onfray qui invite le lecteur à voyager inconditionnellement et à oublier les connaissances qu’il a déjà acquises. Onfray mentionne qu’au cours du voyage, les supports civilisationnels habituels disparaissent, de sorte que le voyageur fait l’expérience d’être entre deux cultures », ce qui est également observé dans les œuvres de Segalen.

Le Mao’hi explique à son interlocuteur qu’à cause des travaux des missionnaires[19] et des fonctionnaires, la jeune génération des Mao’hi, y compris lui-même, n’a pas eu la possibilité de connaître et d’apprendre ses propres prières et coutumes. Vu qu’il y de moins en moins de personnes âgées qui ont appris les prières en grandissant, ils sont désormais considérés comme les derniers piliers de la culture immémoriale, à savoir celle des ancêtres :

 

« Et notre passé est toujours comme le passé, bien avant nous. Ce que nous savons encore, ce que nous ne saurons jamais sur nous-mêmes, est désormais un cercle fermé. »[20]

 

Jusqu’à présent, nous avons traité des contrastes entre les deux cultures, mais il existe aussi des similitudes entre elles. Notre exemple est le mythe de la création du monde, qui figure à la fois dans la Bible et dans le récit tahitien, et selon lequel le monde était initialement un vide et un désert.

Dans la Bible, la création du monde est décrite de cette manière :

 

« Au commencement, Dieu crée le ciel et la terre. La terre est déserte, vide et sombre. »[21]

 

La création du monde est décrite d’une manière similaire dans le mythe mao’hi :

 

« Dans le principe, il n’y avait rien. Excepté Iho-Iho. Il y eut ensuite une étendue d’eau qui recouvrait les abîmes, et le dieu Tino taàta flottait à la surface. »[22]

 

Ce passage est d’autant plus intéressant qu’il nous donne aussi un aperçu de la langue tahitienne, puisque la signification du nom du dieu Tino qui est « le vide » et « l’espace ». Il peut aussi être interprété comme « Image de Soi » selon la traduction de Bovis.
L’autre terme qui apparaît dans la citation est « iho » qui a plusieurs significations.  On le trouve sur le site de l’Académie tahitienne[23], selon le dictionnaire, le terme « iho-iho » peut avoir deux significations dans la citation précédente : la première est que l’expression signifie l’essence et la nature de quelque chose, et la seconde est que quelque chose descend.

Dans son ouvrage, Segalen présente deux mondes qui ne sont plus tellement différents, dans lesquels un peuple colonisé ressemble de plus en plus aux Français. Bien qu’il n’y ait plus de frontières nettes entre ces mondes, il présente les particularités culturelles à travers les yeux de l’indigène[24]. Dans toutes ses œuvres du cycle polynésien[25], Segalen était à la fois un défenseur et un critique des dommages causés par le colonialisme français.

Dans Penser païens, le passé et le futur apparaissent simultanément, l’homme européen présente l’archétype du colonisateur qui dialogue avec un indigène cultivé, sophistiqué et non-conventionnel. À travers le monologue du Mao’hi – ou du Païen, comme l’appelle le narrateur en soulignant le rôle dominant de la vision européenne –, l’auteur nous dit que la « vraie mort » d’un peuple est le changement :

 

« Mais, pour une race, il est un autre genre de mort, c’est de se transformer ; et de cela nous avons couru au suicide. Nous n’avons pas regimbé. »[26]

Les Immémoriaux
C’est le premier livre de Segalen écrit sous le pseudonyme Max Anély et publié au Mercure de France en 1907[27]. Tahiti est sa première mission comme médecin de marine. Sa correspondance poste le témoignage que son séjour est radieusement[28] heureux et triste à la fois[29]. En effet, le roman ethnographique présente la période des premiers missionnaires jusqu’à la disparition des Mao’hi.

Le récit commence le 4 ou 5 mars 1797. La date n’est pas mentionnée dans le texte, mais l’événement — l’arrivée des missionnaires (méthodistes) anglais est d’importance. Le caractère unique du roman est que l’écrivain prend le point de vue des Polynésiens, ce qui n’était pas à la mode au XIXe siècle. Selon Dominique Combe, cet ouvrage marque « une révolution copernicienne » puisqu’il met le point de vue de l’Autre au centre, à l’encontre de Loti, de Saint-Pol Roux, de Claudel[30]. Segalen crée une œuvre qui raconte la vie des Mao’hi, mais ce qui est frappant, c’est qu’il le fait à travers des personnages Mao’hi[31]. Le livre se compose de trois parties dont la figure centrale est Térii. Il est le disciple de Paofaï qui apparaît dans Le parler ancien (deuxième chapitre). En ce qui concerne le rôle de Segalen, il revient sur l’île qui a totalement changée sous l’influence des missionnaires et où les indigènes n’ont plus de relation à leur culture ce qui inspire le titre du livre. Les Tahitiens deviennent alors les « immémoriaux » :

 

« Et Paofaï, pour nom d’agonie, choisit : « Paofaï Paraümaté » qui peut se prononcer : Paofaï les Paroles-mortes » : afin de déplorer sa venue tardive, et les parlers perdus. »[32]

 

Nous partageons l’idée de Doumet selon laquelle cette œuvre a un caractère ethnographique [33], c’est-à-dire que le narrateur plonge le lecteur dans l’univers mao’hi par des mots, des détails et des prières mao’hiennes. Elles ne sont pas traduites et les coutumes ne sont pas expliquées, comme l’auteur l’indique, car tout doit être naturel et évident aux lecteurs aussi. Le « point de vue » de l’autre signifie deux choses : la représentation d’une culture en décadence et la langue de cette culture[34]. Pour Segalen, il est indispensable d’écrire juste un texte sur l’Autrui, car non seulement le point de vue est altéré, mais la présence d’une autre langue, d’une culture différente altère aussi l’histoire au lecteur. Au centre du livre se trouve en effet un voyage au fond de soi qui est interprété par la distinction claire de l’Autre et du moi.  L’inspiration de l’ouvrage, d’après Ana Fernandes, se base sur une note non éditée qui critique la trahison des Tahitiens puisque Segalen les critique pour leur conversion au christianisme, à son avis, ce faisant, les Mao’hi perdent toute leur culture.[35]

En ce qui concerne le point de vue du narrateur, il ne confirme ni ne nie qu’il est un des indigènes. Le narrateur présente la culture et les personnages de l’intérieur, ce qui suggère aux lecteurs qu’il fait partie des Mao’hi.[36] Par contre, selon Combe, il y a une focalisation interne qui concerne Térii qui fait penser qu’il y a un narrateur caché.[37]

Chez Segalen, la figure de l’Autre devient l’Européen aux yeux des Polynésiens, et aussi aux yeux de Segalen qui tâche d’interpréter la conception de l’Autre aux lecteurs européens dans son temps. Dans cette citation, Tuti est le nom Mao’hi de capitaine Cook qui est fêté pour une certaine période comme un dieu.

Dans cette œuvre, le renversement du rôle d’Autrui est unique et caractéristique pour Segalen. Dominique Combe constate que c’est seulement Paofaï qui résiste à l’évangélisation du pays lorsque les Mao’hi « n’accèdent pas à la conscience réflexive de soi, et deviennent par-là oublieux de leurs traditions, des « immémoriaux »[38]. De cette manière, Segalen arrive à démontrer par ce personnage les dommages causés de la colonisation européenne.

Conclusion
L’objectif de notre article était de présenter la méthode de Bachelard à travers les œuvres de Victor Segalen. La dialectique du dedans et de dehors peut être observée partout dans les œuvres de l’écrivain. Dans les textes susmentionnés, la méthode du philosophe a aidé à rendre car celle-ci rend les notions de soi et d’Autre plus accessibles et tangibles. C’est en effet par la reconnaissance de l’Autre que nous apprenons à connaître le soi et ses limites.

Nous avons associé dans la présente étude, l’Autre est lié à la notion de l’extérieur, tandis que le soi est associé à la notion de l’intérieur. L’un ne peut exister sans l’autre, puisque ces concepts se présupposent mutuellement. Sortir de l’intérieur (le moi) nous conduit dans des paysages nouveaux, encore inconnus (l’Autre), ce que Segalen fait et note par des observations anthropologiques. La rencontre avec la culture polynésienne et les œuvres de Gauguin incite l’écrivain à connaître et à étudier la culture de manière plus approfondie.

Nous avons complété la topoanalyse de Bachelard par la méthode narratologique, en faisant allusion aux différents points de vue du narrateur qui apparaissent dans les écrits de Segalen. Il nous semble que l’esthétique ségalénienne marque un changement paradigmatique dans la compréhension et l’utilisation du terme exotique à la fin du XIXe siècle et au début de XXe siècle. Lors du colonialisme triomphant, le regard des écrivains du XXe siècle (Loti, Claudel) met au centre la victoire française et l’expansion de la civilisation européenne. Au contraire Segalen présente le point de vue des insulaires et il démontre l’attitude attendu d’un exote. En plus de la représentation de l’espace, nous aimerions mettre l’accent sur les sens, car l’odorat est souvent mentionné dans les œuvres. Dans ce qui suit, jnous voudrons nous appuyer sur les théories de la perception pour décrire et analyser les œuvres écrit par Segalen sur les Maohi.

B i b l i o g r a p h i e
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N o t e s
[1] BACHELARD, G. : La poétique de l’espace, Paris : Les Presses universitaires de France 1961, p. 15.
[2] WUNENBURGER, J.-J. : Bachelard, une phénoménologie de la spatialité, La poétique de l’espace de Bachelard et ses effets scénographiques, in : Scénographie, Nouvelle Revue d’esthétique, 2017/2 n°20, p. 102, URL: https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2017-2-page-99.htm.
[3] Ibid., p. 103.
[4] SEGALEN, V. : Essai sur l’exotisme, Une esthétique du Divers. Paris : Fata Morgana 1978, p. 8.
[5] WESTPHAL, B. : La géocritique, Réel, Fiction, Espace. Paris : Les Éditions de Minuit 2007, p. 213-222.
[6] SEGALEN, V. : Essai sur l’exotisme, Une esthétique du Divers. Paris : Fata Morgana, 1978, p. 47.
[7] SEGALEN, V. : Essai sur l’exotisme, Une esthétique du Divers. Fata Morgana 1978, p. 41.
[8] Ibid., p. 87.
[9] Ibid., p. 43.
[10] BOUILLER, H. : Introduction. In : SEGALEN, V. : Penser Païens, Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 383.
[11] DIDEROT, D. : Le Rêve de D’Alembert. Paris. Flammarion 2002.
[12] SEGALEN V. : Penser Païens, Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 384.
[13] Ibid., p. 383.
[14] Segalen utilise souvent le terme maori dans ses œuvres, mais il n’a plus la même acception de nos jours étant donné le fait que ce terme désigne les populations polynésiennes de Nouvelle-Zélande, tandis que les indigènes de la Polynésie se désignent par le terme « mao’hi». Voir SEGALEN, V. : Les Immémoriaux. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont, 1995. p. 54.
[15] Ibid., p. 383.
[16] Ibid., p. 384.
[17] SZÁSZ, G. : Le récit de voyage en France et les voyages en Hongrie (XVIIIe– XIXe siècles). Szeged: JATEPress 2005, p. 31.
[18] Ibid.. p. 31.
[19] Les missionnaires méthodistes arrivent en 1797 à Tahiti. In: SEGALEN, V. : Penser Païens, Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 386.
[20] SEGALEN, V.: Penser Païens. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 387.
[21] Gn 1,1-2
[22] SEGALEN, V.: Penser Païens. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 391.
[23] http://www.farevanaa.pf/dictionnaire.php
[24] Par exemple par l’utilisation de certains termes, l’évocation des coutumes.
[25] Segalen a eu aussi un cycle chinois (1912-1919).
[26] SEGALEN, V. : Penser Païens. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 390.
[27] SEGALEN, V. : Les Immémoriaux. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont 1995, p. 7.
[28] C’est souligné dans le texte original écrit par Segalen.
[29] Segalen, V. : Essai sur l’exotisme. Une esthétique du Divers. Paris : Fata Morgana, 1978, p. 73 : « À Tahiti donc, j’ai, sans gestes précis, connu des heures nocturnes radieusement belles ; —les parfums s’y mêlaient sans doute ; mais je sais fermement pourquoi j’y fus heureux. »
[30] COMBE, D. : Les Immémoriaux et la fiction de l’autre. In : La voix, le retrait, l’autre, Littérature, 1989, n°75, p. 45.
[31] Ibid. p. 45.
[32] SEGALEN, V. :  Les Immémoriaux. Œuvres complètes. Paris : Éditions Robert Laffont, Paris 1995, p.170.
[33] DOUMET, C. : Écriture de l’exotisme : Les Immémoriaux de Victor Segalen. In : Poésie, Littérature, 1983, n°51, p. 95.
[34] COMBE, D. : Les Immémoriaux et la fiction de l’autre. In : La voix, le retrait, l’autre, Littérature, 1989, n°75, p.. 48
[35] FERNANDES, A. : Les Immémoriaux de Victor Segalen : L’Autre qui est en moi. In : Máthesis, 2005, nº 14, p.190.
[36] Ibid., p.191.
[37] COMBE, D. : Les Immémoriaux et la fiction de l’autre. In : La voix, le retrait, l’autre, Littérature, 1989, n°75, p. 48.
[38] Ibid., p. 47.

Eszter Turai
Université de Szeged
turaieszti@gmail.com

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