Jakub Deml et Bohuslav Reynek, auteurs en périphérie

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Kateřina Segešová: Jakub Deml et Bohuslav Reynek, auteurs en périphérie [Jakub Deml and Bohuslav Reynek, Authors on the Periphery]. In: Ostium, vol. 19, 2023, no. 2.


Abstract: Two Czech poets, Jakub Deml and Bohuslav Reynek, lived their lives on the periphery of the literary world. We find this not only in their writings, but also in their private lives. Both were quite obsolete due to their Catholic poetry, and both suffered under the political leadership of the country. In their work we can find several common themes and motifs ¬ the immense importance of nature and the understanding of animals as equals. However, the two authors can also be linked on a biographical level; both lived in a small village and found in nature an escape from a world in which they had difficulty functioning.

Keywords: Jakub Deml, Bohuslav Reynek, Catholicism, nature, peri

Résumé : Deux poètes tchèques, Jakub Deml et Bohuslav Reynek, ont vécu leur vie à la périphérie du monde littéraire. Nous le constatons non seulement dans leurs écrits, mais aussi dans leur vie privée. Tous deux étaient assez obsolètes avec leur poésie catholique, et tous deux ont souffert de la direction politique du pays. Dans leurs œuvres, nous pouvons trouver plusieurs thèmes et motifs communs : l’immense importance de la nature et la compréhension des animaux en tant qu’égaux. Cependant, les deux auteurs peuvent également être liés sur un plan biographique ; tous deux vivaient dans un petit village et trouvaient dans la nature une fuite à un monde dans lequel ils avaient du mal à fonctionner.

Mots-clés : Jakub Deml, Bohuslav Reynek, Catholicisme, nature, périphérie

« Est-ce que c’est ce que je voulais, être inclus dans la littérature ? [1] »
« Et moi, encore enserré par les murs et les arbres, je bois la vie de ta main, ô Seigneur […].[2] »

Nous étudierons l’œuvre et la vie de deux poètes tchèques, Bohuslav Reynek et Jakub Deml. Tous deux sont catholiques et tous deux ont vécu à la périphérie, loin du centre, à la même époque. Tout d’abord, nous allons essayer de comprendre s’ils ont choisi de vivre dans la séparation, ou si c’est une décision qui a été prise pour eux. Ensuite, nous tenterons de comprendre comment la distance, non seulement physique mais aussi mentale, a déterminé leur travail. Enfin, qu’ont-ils en commun et en quoi sont-ils différents ? Nous chercherons à répondre à ces questions et à comprendre les motifs importants, notamment ceux de la nature, qui sont liés à l’endroit où ils ont passé leur vie.

Jakub Deml est né en 1878, Bohuslav Reynek quatorze ans plus tard. Les deux poètes sont croyants et, au cours de leur vie, souffrent de la situation politique dans les pays tchèques. Mais ils en souffrent chacun d’une manière très différente. Jakub Deml est connu pour avoir eu de nombreux problèmes avec les contacts sociaux. Les problèmes sont personnels, mais aussi professionnels.[3] Il est vrai que Deml n’est pas toujours responsable de tous les conflits, mais ce qui ne change pas, c’est le nombre de personnes que Deml fait passer de ses amis à ses ennemis. Même Bedřich Fučík, critique littéraire tchèque et ami de Deml, confirme son caractère compliqué : « Deml était un homme fondamentalement bon, mais en même temps bizarrement susceptible à toute critique[4]. »

Deml est aussi en conflit dans tous les systèmes politiques sous lesquels il vit. Il est critique à l’égard du premier président tchécoslovaque, T. G. Masaryk, et pour cette raison, il a des problèmes avec l’administration. En 1945, Deml est accusé de collaboration avec les nazis, mais l’écrivain est libéré de toutes les accusations. Après l’arrivée des communistes au pouvoir, Deml ne peut plus publier. L’Église est poursuivie en Tchécoslovaquie et Deml, en tant que prêtre, l’est aussi.

En revanche, Bohuslav Reynek n’est pas connu pour avoir eu des conflits, il est plutôt un solitaire. Il est francophone et il épouse une poétesse française, Suzanne Renaud. Reynek emmène Suzanne à Petrkov, un petit village de Bohême, où ils vivent loin de leurs amis français. Le poète et sa femme pâtissent tous les deux de cet isolement. L’œuvre poétique de Reynek en souffre également, car le poète, en tant que poète catholique, ne peut plus publier ses recueils à partir de 1948. Ainsi, les deux poètes font l’expérience d’être réduits au silence.

Dans la première phase de son travail, dans les années 1920, Reynek est plus apprécié en tant que graphiste qu’en tant que poète, principalement en raison du fait qu’avec ses textes remplis de thèmes religieux, il s’éloigne de toutes les tendances d’avant-garde et de l’ambiance dominée, en Bohême, par le culte d’Apollinaire. Bohuslav Reynek est très proche de l’éditeur tchèque Josef Florian et de son village natal de Stará Říše. Il lui dédie même un poème quand Florian est mourant[5]. Cet éditeur important travaille aussi en étroite collaboration avec Jakub Deml, mais vers 1910[6], ils commencent à avoir des conflits qu’ils ne résolvent jamais.

Deml et Reynek se connaissent aussi, sans se lier d’amitié. Nous pouvons lire dans l’interview qu’Aleš Palán réalise avec les fils de Bohuslav Reynek : « Lorsque papa était le plus engagé dans Stará Říše, Deml et Florian étaient déjà en conflit. Il n’est jamais allé à Tasov, ça aurait été un peu une compétition. Presque tout le monde a été échaudé par un contact avec Deml. Ce n’était sûrement pas par méchanceté, il avait une personnalité compliquée, égocentrique, sensible et pleurnicharde. […] Papa aimait sa poésie, […]. Ils ne se sont pas vus, ils ne se sont pas écrit[7]. »

Deml passe ses quarante dernières années à Tasov. Il construit ici une grande villa, au bout du village, qu’il appelle Bosna. Il emprunte beaucoup d’argent pour la réalisation du projet et ses années à venir sont fortement marquées par le manque de ressources. B. Fučík s’en souvient dans son livre : « Et avant même de m’en rendre compte, j’étais introduit dans la communauté de Tasov. D’abord parmi les connus et les inconnus, je faisais circuler le répertoire de la maison d’édition de Deml, et parfois même j’agissais comme une sorte d’agent littéraire, bradant des écrits qui, pour la plupart, ne se vendaient pas parce que les libraires ne se souciaient pas de l’éditeur privé dont les éditions n’attiraient pas par leur exclusivité mystique. Et Deml en a vécu, remboursant les dettes accumulées pendant la construction de la villa[8]. » Ici, dans cette maison, il reçoit ses amis de tout le pays et aussi de Prague. Ce groupe d’amis est grand au début. L’une de ses personnes les plus proches qui vient voir le prêtre est le poète Otokar Březina.

Si la présence humaine est très importante pour l’œuvre de Jakub Deml, le lieu lui-même l’est aussi. Il écrit de nombreux livres consacrés à cet endroit qu’il aime profondément. Deml est, contrairement à Reynek, très concret dans ses livres. Il décrit l’histoire réelle, les personnes réelles de son village de Tasov. Dans un livre mince, Pozdrav Tasova (Bienvenue à Tasov), Deml raconte comment il perçoit la région : « Ce champ Pod Horkama était le préféré de mon père de tous ses champs. De ce côté, la vue sur l’église de Tasov est la plus intime. Ici, mon père priait en travaillant, tout comme j’avais l’habitude de parler à Dieu ici devant mes deux vaches pendant mon enfance. Il n’y a pas de croix, pas de sanctuaire ou de chapelle, et pourtant vous pouvez voir que c’est un lieu saint[9]. »

La perception nostalgique de Tasov par Deml est également confirmée par Binar qui écrit : « Oui, pour Deml, Tasov est le centre de l’univers et du cœur, Tasov est une certitude, Tasov est solide, réel dans le paysage, sa mère a vécu ici, son père – le poète connaît chaque pierre, chaque borne, le retour à Tasov est un véritable retour à l’enfance[10]. » Ce retour au passé peut être facilement compris si nous considérons la vie difficile de Deml.

Binar décrit la solitude de Deml dans son livre Čin a Slovo (Acte et parole): « Depuis 1949, Jakub Deml ne peut plus publier aucun livre. Il est donc non seulement condamné au silence éditorial, mais son nom est également complètement effacé de l’histoire de la littérature tchèque. […] Non seulement disparaissent les pressiers, dont Deml a toujours affirmé qu’“ils étaient responsables de tous mes livres”, mais aussi des amis et connaissances proches (B. Fučík, J. Zahradníček et d’autres) qui disparaissent progressivement en prison[11]. »

La situation de Reynek n’était pas très différente. Son isolement est à moitié un choix de vie, à moitié une nécessité. Dans l’entre-deux-guerres, l’écrivain aimait passer l’hiver en France avec sa femme et ses enfants. Dans les années 1950, ce n’est plus possible. Reynek demeure, avec sa famille, dans sa maison isolée, tout au bout du village. Une grande partie de leur propriété leur est confisquée et collectivisée. De plus, Reynek est interdit de publication. Trávníček écrit à ce propos : « […] il est passé à travers la vie presque inaperçu par l’histoire littéraire officielle et seulement marginalement remarqué par quelques critiques. Les manuels d’histoire de la littérature tchèque de l’entre-deux-guerres […] ne connaissaient pas Reynek. […] L’œuvre poétique de Reynek a toutefois été publiée plus ou moins en dehors de l’horizon de la littérature officielle, en petites éditions, sans publicité de l’éditeur et hors des sentiers battus de l’édition. […] Une tentative de trouver une place dans une grande maison d’édition a échoué. […] et après 1946, il y a eu un silence délibéré. Le premier recueil de ses poèmes (après plusieurs autopublications) a été publié à l’étranger, à Londres, à titre posthume.[12] »

 

L’écriture devient un objectif de vie pour Deml. Il écrit tout le temps et nous devons considérer sa correspondance comme partie intégrante de son œuvre. L’œuvre de Deml ne se limite pas aux poèmes. Il écrit également de la prose et des poèmes en prose, il publie ses sermons, ses commentaires. C’est aussi la raison pour laquelle Deml est si concret. Il décrit ses pensées, ses souvenirs des gens et des lieux. Bohuslav Reynek est tout le contraire. Reynek est presque un poète exclusif de la nature, il parle rarement des gens, et s’il le fait, ce sont les personnages bibliques qui viennent dans son jardin, qui se tiennent devant sa maison.

Reynek a dédié de nombreux poèmes à sa région. Ses poèmes sont souvent appelés Domov, c’est-à-dire La Maison ou Chez Soi. Mais il ne nous dit pas où se trouve cet endroit secret. Lorsque nous découvrons l’œuvre de Reynek, nous sommes invités chez lui, dans son jardin de rêve, où il vit simplement avec ses animaux dans une époque atemporelle et le lieu de son jardin est plutôt un lieu d’esprit : « La terre est gelée et saupoudrée de neige, c’est un jour blanc comme saint Nicolas, le portier de Noël. Les moineaux sautillant dans la cour se risquent jusque dans la salle, les merles passent toute la journée dans les fusains et les seringas qui bordent les fenêtres du jardin, parfois de gracieux bouvreuils pourpres viennent les rejoindre ; et plus loin près du mur des écureuils dans les épicéas dépiautent des pives, on ne les voit pas mais les écailles tombent mystérieusement en bruissant. Bien d’autres choses se passent encore, mais les mots sont trop sobres, et la peinture ou le dessin trop logiques pour les raconter[13]. »

Comme nous l’avons mentionné précédemment, Reynek n’est pas seulement poète, il est aussi peintre et graphiste, et cette tendance à rester chez soi se retrouve aussi dans ses gravures comme le montre notre exemple[14]. À première vue, le blanc prédomine, la couleur est souvent présente dans son travail, nous la retrouvons mentionnée dans nombre de ses poèmes aussi tels que « Le Reniement de saint Pierre », « Adoration des Mages », « Neige de printemps » et bien d’autres dans le recueil Rybí šupiny. Le blanc représente la neige, l’hiver, la mort des vivants et le vide. La neige contribue à créer une ambiance de calme, où le sol semble doux, intact de toute trace de pas humains.

Nous voyons que l’humain, la vache, la charrue et les pigeons forment un demi-cercle, à l’opposé du haut de l’image. Cette liaison n’est pas accidentelle, nous savons par la poésie de Reynek qu’il perçoit le lien entre l’homme, la nature et les animaux comme essentiel.

 

Les deux écrivains restent cantonnés chez eux et écrivent sur ce qu’ils voient autour. Dès 1913, Deml publie un recueil intitulé Moji přátelé, dans lequel il s’adresse à des fleurs. Ce recueil est probablement le plus connu. Deml est souvent considéré comme un précurseur du surréalisme ou un représentant de l’expressionnisme. Ici, il reste à un niveau plutôt symbolique : « Lys blanc, merci de votre visite. Vous savez que je n’aurais pas osé le faire moi-même, donc vous souffrez beaucoup, et maintenant moi aussi, vous voyez, – sommes-nous semblables en cela ?[15] » Deml utilise ici la métaphore d’un lys blanc comme une allégorie de son ami S. K. Neumann[16]. Il est impossible d’obtenir cette interprétation du poème lui-même. Pour être capable de le lire pleinement, nous devons également connaître la correspondance de Deml, c’est pourquoi la compréhension de son travail est si complexe, plus que de celui d’autres écrivains. Dans sa lettre il écrit : « Aujourd’hui, en contemplant le “Lys blanc”, les grands tourments de la douleur et de la félicité, je saisis soudain un crayon et écris dans mon journal cet aphorisme : “Si l’on nous haïssait à mort et si l’on nous aimait à mort en même temps, si l’on nous attirait et si l’on nous repoussait : il nous rendrait à la fois heureux et saints, en nous laissant seuls.” Et soudain, ça m’est venu à l’esprit : C’est Stanislav K. Neumann ! – Merci pour ta haine, merci pour ton amour, Ami-ennemi : Frère. Cher M. Neumann[17]. »

Ou dans un autre poème nous lisons : « Amanite, des êtres différents ont des outils différents : dents, griffes, sabots, coquillages, épines, cornes, ailes, regards fatidiques, odeurs, mots, etc. Tu as ta beauté et ton poison. La beauté pour le plaisir et le poison pour la défense. Dieu t’a donné les deux, loue-le pour ça. Ou bien tu brilles sur les branches de l’arbre qui se trouvait au milieu du Paradis ? Ta brillance le suggère. Mais tu es venu dans ces endroits ? Et que la morsure du serpent a perduré dans tant de générations… ? Peut-être que je me trompe, peut-être que je rêve… ?[18] » Deml présente ce recueil de poèmes à une époque où le genre est assez démodé. Mais le poète de Tasov porte le genre à un autre niveau en élevant les plantes au rang de ses sœurs et amies. Les plantes deviennent de véritables personnes qui l’entourent et qui sont en une relation forte avec lui.

Jakub Deml est également un jardinier très passionné, tout comme Bohuslav Reynek. Reynek décrit souvent son jardin à son fils Jiří en mentionnant ce qui est en fleur. Nous retrouvons également le langage des fleurs dans son œuvre, nous pouvons citer par exemple le poème « Tournesol en peine » : « Un matin de septembre je marche à travers la banlieue couverte de givre ; et je vois, qui a poussé dans la crasse et la poussière et parmi les tessons, au cœur ďune sorte de jardinet apeuré, entre les légumes, grand et beau, un tournesol. — Mais c’est en vain que tu pivotes, le teint halé et la chevelure d’or ! en vain que, plante élancée de l’amour fidèle, tu cherches le soleil ! Peut-être même l’ombre de la fumée et de l’affliction t’empêchera de le voir se lever, il a été souillé et, de honte, il se cache ; et si par hasard ton brillant prince arrive jusqu’à toi, il sera voilé de blanc, pour ne pas scandaliser les pauvres gens, ne pas les tourmenter de son éclat et les amener à maudire leur propre vie, que de toutes façons ils maudissent sans cesse ; oh doux tournesol épanoui, réjouis leurs âmes tournées vers le noir, rabougries et obtuses comme les feuilles mortes qui bruissent en décembre ! hèle leur œil par le feu doré de la délectation, peut-être te répondront-ils, pépiant un merci, […][19]. » La dernière partie de cet extrait du poème de Reynek ressemble à une prière. Les deux poètes traitent les fleurs sur un pied d’égalité. Nous pouvons le voir non seulement dans la façon dont ils s’adressent à elles, mais aussi dans le fait qu’à travers les fleurs, ils communiquent avec ce qui transcende la simple existence humaine sur terre ; c’est leur façon de parler à Dieu, qui est omniprésent et qui est représenté par toutes les créatures et les plantes sur terre.

Les deux poètes aiment également les animaux. Deml commence son Šlépěje XVII (Traces de pas XVII) par l’histoire de ses chiens : « J’ai eu trois chiens, mais aucun d’eux ne voulait marcher avec moi. Je leur ai donné leur liberté, pour ainsi dire, et ils ont suivi leur propre chemin, et tous trois sont morts de mort violente. Kvik, Zora et Šípek. Kvik a été donné par un gendarme (mais peu après il a été transféré de Tasov, et il ne peut y avoir de plus grande punition que d’être transféré de Tasov), Kvik a été donné par ce malheureux gendarme à un cordonnier pour les semelles de ses chaussures, sinon pour ses bottes entières, Zora a été empoisonnée par le propriétaire du terrain de chasse, et Šípek a mis fin à sa vie par un coup de pistolet dans les forêts de Jinošev. Je souffre encore aujourd’hui, après tant d’années, pour ces trois chiens à moi, que j’ai gâtés par ma compassion, pour ne pas dire mon humanité[20]. »

Reynek a écrit sur les animaux beaucoup plus que Deml. Dans son cas, nous pouvons voir à quel point il se sentait profondément lié aux animaux. Ce qu’ils ont en commun avec Deml, c’est la liberté dont ils estiment que les animaux ont besoin. L’animal le plus décrit par Reynek est sans aucun doute le chat. Il convient de mentionner ici que Reynek était un traducteur de Charles Baudelaire et que de nombreux motifs de Baudelaire ont inspiré le poète tchèque. Les animaux font partie intégrale du travail de Bohuslav Reynek. Ils n’apparaissent pas seulement comme motifs dans ses poèmes, mais nous les trouvons aussi dans les titres des poèmes et même dans les titres de nombreux recueils, par exemple Écailles de poisson (Rybí šupiny), Le serpent sur la neige (Had na sněhu), Papillons d’automne (Podzimní motýli) ou Le départ des hirondelles (Odlet vlaštovek).

Dans l’article « Bestiář Bohuslava Reynka » (« Le Bestiaire de Bohuslav Reynek »), Miroslav Červenka indique qu’un total de deux cents motifs animaliers différents ont été utilisés dans les onze recueils de Reynek, et que ces motifs sont présents au total plus de huit cents fois[21]. Voici le poème « Kočky » (« Les chats ») de Bohuslav Reynek : « Venez toutes à moi, bêtes, consolatrices, depuis mon enfance, de nombre de ces mélancoliques./Venez, vous chats sombres et tigrés, couverts allfettres, runes d’un poème mystérieux ! Et vous les blancs, dont le chaud lait des vaches a fait pousser le poil ! Vous les noirs, qui ressemblez à ma première bien-aimée ! Vous les trois-couleurs, comme un jour d’automne : roux du feuillage d’octobre, noir des eaux dans les gouffres des forêts, blanc du givre qui suit le froid de la nuit !/Venez à moi, tissez en ronronnant l’étoffe du rêve !/Voyez-vous, les gens n’ont pas confiance en vous et vous calomnient ; et pourtant au bas des portes des fermes et des chaumières, des portails des granges et des remises, ils ménagent des ouvertures pour vous laisser entrer. Ce n’est pas par amour, mais par précaution, pour être sûrs qu’on ne leur fera pas honte, car ils devinent ce que nous, nous savons : la porte de l’Eden elle aussi a sa chatière et c’est par là que vous passez quand vous allez chercher pour les solitaires des reflets de consolation.[22] »

Le poète commence par plusieurs apostrophes, ce qui est très courant chez Reynek. À travers les trois répétitions « venez à moi », le poème donne une impression magique, comme une incantation. Nous revenons ici à la compréhension du temps par Reynek dans ses poèmes. Il s’agit du temps biblique, atemporel. Cette transcendance vers l’éternité se développe avec la deuxième apostrophe, où le poète ajoute des épithètes : « lettres runiques d’un poème mystérieux / Vous les noirs, qui ressemblez à ma première bien-aimée / comme un jour d’automne. » Les caractères runiques nous font entrer dans l’histoire des chats qui possèdent un passé et une allure de divinités en même temps. Les chats sont comme un poème vivant, ils sont les porteurs de textes poétiques, c’est presque comme si les chats étaient les poètes. Les chats peuvent donc être compris comme des êtres éternels qui ont toujours été présents. S’y rapproche une autre métaphore, celle de la première bien-aimée du poète. Le passé est réintroduit dans le texte, et avec lui la mélancolie du premier amour. La bien-aimée amplifie le principe féminin dans le poème, ce qui est évident ici dès le début, car, en tchèque, le genre de « chat » est féminin.

« Voyez-vous » a une connotation de compréhension. Le poète montre qu’il comprend les chats. Les autres personnes les calomnient, mais le poète sympathise avec eux. Et le poète développe encore plus cette relation secrète avec les chats : « car ils devinent ce que nous, nous savons ». Les chats ont accès à l’Eden, ils ont donc la faveur de Dieu.

Reynek utilise un langage archaïque. La stylisation archaïque en général cherche également à approcher le langage biblique, soulignant ainsi la dimension métaphysique. Il ressort clairement de ce poème que Reynek considère les chats comme des créatures divines et qu’il aime être entouré d’eux. Il se présente dans ce poème comme un solitaire qui apprécie la compagnie de Dieu et des animaux.

 

Comme nous pouvons le voir, la nature est très importante pour les deux poètes. L’environnement de Deml est plutôt villageois. Il aime parler aux gens, il aime être entouré d’eux. Reynek en revanche se présente comme un solitaire qui n’est accompagné que par ses animaux qui sont, bien sûr, ses égaux. Cette perception de la vie a probablement rendu les circonstances plus supportables pour Reynek que pour Deml, mais l’isolement les a torturés tous les deux.

Reynek et Deml voulaient publier leurs livres. Ils l’ont fait à leurs propres frais, par eux-mêmes, ce qui leur a coûté beaucoup d’argent et aucun d’entre eux n’avait les ressources nécessaires pour le faire. Nous pouvons donc dire qu’ils ont souffert de l’isolement culturel, de la vie dans la périphérie littérale.

La manifestation de cet isolement est clairement visible dans les œuvres des deux poètes. Reynek se définit lui-même comme un solitaire à plusieurs reprises. Dans sa poésie, il se décrit comme abandonné. Les seuls esprits qui lui apportent du réconfort sont ses animaux.

Deml cherche les humains partout et aussi dans la nature. Les fleurs de son jardin le font penser aux personnes qui lui manquent.

B i b l i o g r a p h i e
BINAR, V. : Čin a slovo: kniha o Jakubu Demlovi. Praha : Triáda 2010.
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DEML, J. : Moji přátelé. Praha : Československý spisovatel 1989.
DEML, J. : Pozdrav Tasova ; Rodný kraj. Brno : Jota 1991.
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DEML, J. : Šlépěje XVII. Brno : Vetus Via 2000.
DEML, J. : Carissime, kde se touláte?: dopisy Jakuba Demla příteli Josefu Ševčíkovi do Babic. Praha : Dauphin 2010.
FUČÍK, B. : Čtrnáctero zastavení, Praha : Melantrich 1992.
PUTNA, M. C. : Česká katolická literatura v evropském kontextu 1848-1918. Praha : Torst 1998.
PALÁN, A. : Kdo chodí tmami: Daniel Reynek – Jiří Reynek. Havlíčkův Brod : Petrkov 2012.
REYNEK, B. : Básnické spisy. Zlín : Archa 1995.
REYNEK, B. : Rybí šupiny ; Rty a zuby ; Had na sněhu. Praha : Vyšehrad 1990.
TRÁVNÍČEK, M. : Doslov. Básnické spisy, Zlín : Archa 2009.
ULYANKINA, E. : Demlovy „Moji přátelé“ z hlediska intertextuality. Praha: Univerzita Karlova a Praze, Ústav bohemistických studií 2014.

N o t e s
[1] DEML, J. : Carissime, kde se touláte?: dopisy Jakuba Demla příteli Josefu Ševčíkovi do Babic. Praha : Dauphin 2010, p. 33. „Cožpak to jsem chtěl, aby mne zařadili do literatury?” Lettre de Jakub Deml à J. Ševčík (1906).
[2] REYNEK, B. : Básnické spisy. Zlín : Archa 1995, p. 41. „A já dosud sevřen zdmi a stromy piji život z ruky tvojí, Pane […].“ Poème Domov (Foyer), recueil Žízně (Soifs).“
[3] PUTNA, M. C. : Česká katolická literatura v evropském kontextu 1848-1918. Praha : Torst 1998, p. 399.
[4] FUČÍK, B. : Čtrnáctero zastavení. vzpomínkové medailony. Praha : Melantrich 1992, p. 100.
[5] REYNEK, B. : Básnické spisy. Zlín : Archa 1995, p. 464.
[6] PUTNA, M. C. : Česká katolická literatura v evropském kontextu 1848-1918. Praha : Torst 1998, p. 399.
[7] PALÁN, A. : Kdo chodí tmami: Daniel Reynek – Jiří Reynek. Havlíčkův Brod : Petrkov 2012, p. 41: „Když byl tatínek ve Staré Říši nejvíc angažovaný, byl už Deml s Florianem pohádaný. Do Tasova k němu nikdy nešel, bylo by to trochu jako ke konkurencei. Na kontaktesch s Demlem pohořel skoro každý. Jistě to nebylo ze zlé vůle, byla to komplikovaná, sebestředná, choulostivá, uplakaná oosobnost. […] Jeho poesii měl tatínek rád, […]. Nevídali se, nepsali si.
[8] FUČÍK, B. : Čtrnáctero zastavení. vzpomínkové medailony. Praha : Melantrich 1992, p. 97: „A aniž jsem se nadál, byl jsem zařazen do tasovského komonstva. Napřed mezi známými i neznámými jsem rozšiřoval adresář Demlova nakladatelství, a někdy jsem dokonce dělal jistého druhu knižního agenta, rozprodávajícího spisy, které většinou „nešly“, protože knihkupci nedbali o soukromého nakladatele, jehož edice nelákaly svou „mystickou exkluzivitou“. A Deml z nich žil a splácel dluhy nahromaděné při stavbě vily.“
[9] Traduit en français par l’auteure de cet article. « To pole Pod Horkama bylo mému otci ze všech jeho rolí nejmilejší. Pohled na tasovský kostel z této strany je nejdůvěrnější. Zde se můj otec modlíval při své práci, tak jako já zde za svého dětství u svých dvou krav mluvíval s Bohem. Není zde kříže, nestojí tady žádná boží muka, nebo kaplička a přece vidíte, že je to místo svaté. » DEML, J. : Pozdrav Tasova; Rodný kraj. Brno : Jota 1991, p. 23-24.
[10] BINAR, V. : Čin a slovo: kniha o Jakubu Demlovi. Praha : Triáda 2010, p. 77.
[11] BINAR, V. : Čin a slovo: kniha o Jakubu Demlovi. Praha : Triáda 2010, p. 150-151: „Od roku 1949 je Jakubu Demlovi znemožněno jakékoliv vydávaní knih, a tak je nejen odsouzen k publikačnímu mlčení, ale navíc je jeho jméno zcela vymazáno z dějin české literatury. […] zmizeli nejen tiskaři, o nichž vždy Deml tvrdil, že „zavinili všechny mé knihy“, ale postupně mizí z jeho obzoru ve vězení […] blízcí přátelé a známí (B. Fučík, J. Zahradníček aj.) […].“
[12] TRÁVNÍČEK, M. : Doslov. In : REYNEK, B. : Básnické spisy. Zlín : Archa 2009, p. 683–684: „Životem však prošel takřka nepovšimnut oficiální literární historií a jen okrajově vnímán ojedinělými kritiky. Příručky dějin české literatury v meziválečném období […] o Reynkovi nevěděly. […] Reynkovo básnické dílo ovšem vycházelo víceméně mimo obzor oficiální literatury, v malých nákladech, bez nakladatelské reklamy a stranou vyšlapaných nakladatelských cest. […] Pokus o uplatnění ve „velkém“ nakladatelství neuspěl. […] po roce 1946 došlo k umlčení záměrnému. První souborné vydání básnického díla (po několika samizdatech) vyšlo posmrtně za hranicemi v londýnských Rozmluvách.“
[13] REYNEK, B: Rybí šupiny = Écailles de poissons. Traduit par Xavier Galmiche. Havlíčkův Brod : Petrkov 2011. REYNEK, B. : Rybí šupiny; Rty a zuby; Had na sněhu. Praha : Vyšehrad 1990, p. 32: „Země jest zmrzla a přikryta popraškem sněhu, den jest bílý jako svatý Mikuláš, vrátný Vánoc. Vrabci na dvoře skáčí až u síně, na zahradě pod okny v jasmínech a v brslenu sýkorky jsou celé dni, někdy také k nim přiletí spanilí rudí hejlové; a hlouběji u zdi ve smrcích veverky olupují šišky, není jich viděti, ale slupky tajemně se snášejí s ševelením. A mnoho ještě podobných krásných věcí se děje, ale slova jsou příliš střízlivá a malba nebo kresba jsou příliš logicky, aby se to povědělo.“
[14] Anexe no 1. Cour en hiver II, 1958. AUZIMOUR A., ed. [cat. de l’exposition] Bohuslav Reynek (1892-1971) Estampes des années cinquante. Grenoble : Romarin 2013, p. 4.
[15] DEML, J. : Moji přátelé. Praha : Československý spisovatel 1989, p. 36: „Lilie bílá, díky za návstěvu. Vy víte, že sám bych si byl netroufal, tak dosti trpíte, já nyní též, vždyť vidíte, — či jsme si v tom podobni?“
[16] ULYANKINA, E. : Demlovy „Moji přátelé“ z hlediska intertextuality. Praha: Univerzita Karlova a Praze, Ústav bohemistických studií 2014, s. 64.
[17] DEML, J.: Pro budoucí poutníky a poutnice. Olomouc : Votobia 1995, p. 156: „Dnes, rozjímaje o „Lilie Bílé“, o velikých mukách bolu a blaha, náhle jsem popadl tužku a napsal si do deníka tento aforismus: „Kdyby nás někdo současně na smrt nenáviděl a na smrt miloval, přitahoval i odpuzoval: ten by nás učinil i šťastnými i svatými, nechávaje nás v samotě.“ A najednou mi napadlo: Toť Stanislav K. Neumann! – Díky za Vaši nenávist, díky za Vaši lásku, Příteli-nepříteli: bratře. Milý pane Neumanne.”
[18] DEML, J.: Moji přátelé. Praha : Československý spisovatel 1989, p. 47:  „Muchomůrko, rozličné bytosti mají rozličné nástroje: zuby, spáry, kopyta, krunýře, bodliny, rohy, křídla, osudné pohledy, vůně, slova a tak dále. Ty máš svou krásu a jed. Krásu pro rozkoš a jed pro obranu. Obé ti dal Bůh, chval Ho za to. – Anebo jsi se skvěla na větvích stromu, který stál uprostřed Ráje? Tvé jasy tomu nasvědčují. Ale žes přišla na tato místa? A že by uštknutí hadí utkvívalo v tolika pokoleních…? Snad se mýlím, snad se mi něco zdá…?”
[19] Traduit en français par Xavier Galmiche. REYNEK, B. : Rybí šupiny ; Rty a zuby ; Had na sněhu. Praha : Vyšehrad 1990, p. 44.: „Jdu jitřně ojíněným předměstím v září, a hle, ve špíně a prachu a střepech, v čemsi jako v zastrašené zahrádce prostřed zeleniny vyrostla vysoká, spanilá slunečnice. — Ale marně se otáčíš, ty snědolící a zlatovlasá, marně hledáš slunce, ztepilá květino věrné lásky. Snad ho ani neuvidíš pro tmu kouře a truchlosti, neuvidíš ani zory, je pošpiněna a studem se skrývá, a pakli přece se k tobě dostane tvůj planoucí kníže, bude bíle zastřen, aby jeho záře nepohoršila nešťastných lidí, aby jejich žár jich netrápil a oni neklnuli svému životu, klnou mu beztoho pořád, ó sladká slunečnice rozvitá, potěš jejich duše obrácené do tmy, schoulené a tupé jako svraskalé listy prosincové, zavolej na jejich listy zlatým ohněm kochání snad ti odpoví zatikáním vděku […].“
[20] DEML, J. : Šlépěje XVII. Brno : Vetus Via 2000, p. 7: „Měl jsem už tři psy, ale žádný z nich se mnou nešel. Dal jsem jim, možno říci, svobodu a oni chodili po cestách svých a všichni tři zahynuli smrtí násilnou. Kvik, Zora i Šípek. Kvika dal jeden četník (však brzo po tom přeložili jej z Tasova a nemůže býti většího trestu než býti přeložen přeložen z Tasova), Kvika dal onen nešťastný četník ševcovi za podrážky, ne-li za celé boty, Zoru otrávil majitel honitby a Šípek skončil svůj život ranou z ručnice v lesích jinoševských. Ještě dnes trpím, po tolika letech, pro tyto tři své psy, které jsem zkazil svým soucitem, ať nedím svou humanitou.“
[21] ČERVENKA M. : Bestiář Bohuslava Reynka. In : Styl a význam. Praha : Československý spisovatel 1991, p. 68.
[22] Traduit en francais par Xavier Galmiche. REYNEK, B. : Rybí šupiny ; Rty a zuby ; Had na sněhu. Praha : Vyšehrad 1990, p. 17: „Pojďte ke mně všecky, vy těšitelky mnoha mých teskných let, od dětství!/Pojďte, vy chmurné, žíhané, jež jste popsány runami ; tajemných básní! Vy bílé, jejichž srst narostla z teplého/mléka kravek! Vy černé, jež se podobáte mé první milence! A vy tříbarevné, které jste podobny podzimnímu dnu, rzivy jak říjnové listí, černý jako vody v lesních tůních a bily jako jinovatka po mrazu nočním!/ Pojďte ke mně a upřeďte mi tkanivo krásného snu!/Viďte, lidé vám nevěří a pomlouvají vás; ale přece ve dveřích statkův a chalup, i ve vratech stodol a kůlen vám nechávají otvory, abyste k nim mohly. Ani ne z lásky, ale pro jistotu, aby nebyli zahanbeni, neboť tuším snad, co my víme: že v kamenné bráně Edenu také jest chatière, a že vy tam chodíte — pro odlesk útěchy samotářům.“

Kateřina Segešová
Université Masaryk
katerina.segesova@gmail.com

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