Gianluca Ronca: Les nouvelles frontières de la responsabilité: réconnaissance et justice chez Ricoeur [The new boundaries of responsibility: recognition and justice in Ricoeur]. In : Ostium, vol. 19, 2023, no. 1.


The new frontiers of responsibility: recognition and justice in Ricoeur
Man is called to goodness by an ulterior dimension, which incites him in continuation to act according to what Ricoeur calls the economy of the gift, configured as a supra-ethical instance in the service of a logic of excess. According to the author, this economy is summarised by the biblical precept to turn the other cheek, by the invitation to love one’s enemy. The commandment of love, formulated through the imperative „Love me!“ that God addresses to his creatures, solicits a praxis that goes beyond ethics to reach, in its infinite movement, a point where it is called to confront the balance established by the lesson of another biblical rule, the Golden Rule, in the eyes of Ricoeur, an expression of a logic of equivalence and reciprocity implicit in modern reflections on distributive justice.

The ethics of giving also has the merit of going beyond the theme of recognition among subjects interpreted as a struggle and rethinking reciprocity in terms of free and disinterested exchange. The violent idea of the struggle for recognition gives way to the „non-violent idea of giving“.

What is the consequence of the encounter between the ethics of giving and the golden rule? The ethic of disproportion is now tempered by an interpretation that links the commandment of love to generosity. The „corrective“ to the commandment of love requires that the do ut of not be understood as a relational calculation and balancing but as a generous and selfless gift that safeguards the need for reciprocity, the foundation of every community.

The generosity inherent in the act of giving overcomes the conflict for recognition elaborated by Hegel and, at the same time, overcomes the hostile vision the subject may have of the Other within a consciousness not yet open to authentic ethical practices.

Setting aside the absolute subordination of the subject to the Other and at the same time the hostile version of natural freedom means that Ricoeur conceives of responsibility not only in terms of caring for others as others but also caring for the self, the second term of an indispensable practical polarity engaged in the movement of the disinterested.

Keywords: Ricoeur, disproportion, Otherness, responsibility, democracy

0. Introduction
Dans cet essai, je me propose d’analyser comment l’élaboration du concept de responsabilité a évolué chez Ricœur, notamment en relation avec les deux noyaux conceptuels de la disproportion et de la gratuité qui ont marqué le terrain de la plus grande critique de son maître Lévinas.

Je commencerai par souligner l’émergence du thème de la responsabilité à partir de l’arrière-plan ontologique de la philosophie de Ricœur en tant que capacité éthique du sujet ouvert ab origine à la relation avec Autrui. Je poursuivrai en montrant comment l’ouverture à l’Autre passe par les deux moments coessentiels de la promesse et du don qui présupposent une réciprocité et une identité du sujet qui seules peuvent combler la distance de la relation éthique établie. Enfin, je soulignerai la retombée politique de cette structure ontologico-morale dans les relations institutionnelles où la justice prend la contrepartie de l’amitié dans les relations interpersonnelles.

1. Imputation et responsabilité
En 1994, Esprit publie une précieuse étude de Ricœur à mi-chemin entre la reconstruction historico-philologique (« analyse sémantique ») et la réflexion morale sur le concept de responsabilité, qui sera significativement republiée dans une collection intitulée significativement Le juste. Dans l’essai, les analyses sur l’usage légal du terme précèdent les considérations les plus novatrices de son utilisation au niveau moral, ces dernières liées aux problèmes récents que les nouveaux horizons philosophiques ont ouverts.

Paul Ricœur considère, dans la reconstruction historique qui occupe la première moitié du texte, la notion d’imputation comme principal ancêtre philosophique du concept de responsabilité. La seconde partie est réservée aux nouvelles manières d’articuler le discours moral sur la responsabilité qui pousse le concept même jusqu’aux limites du pensable, atteignant la thématisation d’une responsabilité infinie dans laquelle le sujet répond à tout devant tout le monde : les auteurs mentionnés explicitement sont Hans Jonas et, bien sûr, Emmanuel Levinas.[1]

En renouvelant les fils de la genèse contemporaine de l’idée de responsabilité, Ricœur identifie la cause de ce changement conceptuel dans la nouvelle interprétation de la spontanéité libre du sujet. Les nouveaux efforts théoriques ont profondément influencé la définition du libre arbitre, de l’agent moral, de l’acte volontaire et involontaire, atténuant ainsi de temps en temps le poids de l’obligation typique de la tradition kantienne.

Si la responsabilité a pleinement droit à l’asile dans la philosophie morale, elle doit être repensée mais en suivant d’autres voies que celles des philosophies déontologiques :

Un certain ordre sortira peut-être du rapprochement entre ce que j’appelle tentative de démoralisation de la racine de l’imputation et tentative de rémoralisation de l’exercice de la responsabilité.[2]

Ricœur se reconnaît pleinement dans cette nouvelle tradition en insérant sa propre pensée dans une continuité philosophique qui n’est pas pour nous, arrivée à ce point de notre analyse, difficile à discerner :

La reconquête de l’idée de spontanéité libre a été tentée sur plusieurs voies que j’ai essayé, pour ma part, de faire converger dans une théorie de l’homme agissant et souffrant.[3]

Si Ricœur rappelle expressément le cœur de sa philosophie, c’est pour ancrer le problème de la responsabilité à la réflexion sur la capacité du sujet éthique. Bref, la réponse à la question « c’est qui ?» le point de départ de son analyse. L’identité narrative, l‘ipse, répond précisément aux questions « qui agit ? Qui est considéré moralement responsable de ses actes ? ». Avec son herméneutiques l’auteur est en train de rejeter explicitement le modèle classique d’imputabilité d’un côté part, et de l’ascription analytiques de l’autre, puisque les deux donnent un statut éthique à l’agir totalement « neutre ».

Pour Ricœur également, le schéma cause-effet par rapport au modèle sujet-action s’avère au moins incomplète. Si la relation entre l’action et l’agent révèle un cas particulier de la relation plus complexe de l’idem par rapport à l’ensemble de ses actes découlant du caractère et d’un projet-de-vie , la tâche propre du philosophe est maintenant d’analyser le phénomène dans l’auto-compréhension de la conscience:

Ce qui donne alors à penser, ce sont des phénomènes comme l’initiative, l’intervention, où se laisse surprendre l’immixtion de l’agent de l’action dans le cours du monde, immixtion qui cause effectivement des changements dans le monde (…) Nous avons certes le sentiment vif, la certitude confiante de “pouvoir faire”, toutes les fois que nous faisons coïncider une action en notre pouvoir avec les occasions d’intervention qu’offre n’importe que système physique fini et relativement fermé. Mais cette compréhension immédiate, cette attestation du « pouvoir faire », ne peut être appréhendée conceptuellement que comme concours de plusieurs causalités. (…) (Il est nécessaire de) porter au niveau réflexif l’assurance qui s’attache au phénomène du « je peux », l’attestation indéracinable que porte sur lui-même l’homme capable.[4]

C’est cette assurance qui conduit directement à la recherche d’un nouveau modèle de responsabilité, aujourd’hui on dirait civil, qui s’est établi principalement entre la fin du XIXe et le XXe siècle. Un modèle, comme celui de la responsabilité objective (par exemple dans les domaines du travail et de l’économie), qui domine une grande partie de la recherche moderne dans le domaine juridique. Il semblerait que, sur le plan juridique, la théorie de la responsabilité va s’identifier de plus en plus à une seule obligation « globale » d’assurance pour chaque type de risque, aboutissant à l’idée de négation de l’attitude de précaution contenu dans l’idée de prudence.[5].

Sur le plan moral, cet élargissement du cadre entraîne inévitablement un changement d’objet de la responsabilité :

Au plan moral, c’est de l’autre homme, autrui, que l’on est tenu responsable (…) C’est de l’autre dont j’ai la charge que je suis responsable. La responsabilité ne se réduit plus au jugement porté sur le rapport entre l’auteur de l’action et les effets de celle-ci dans le monde ; elle s’étend au rapport entre l’auteur de l’action et celui qui la subit, au rapport entre agent et patient (ou récepteur) de l’action.[6]

Quand on nous demande alors de quoi nous sommes responsables, la réponse à donner est : de tout ce qui est en danger d’anéantissement. Le changement de paradigme conduit à une attention particulière vers qui, ou quoi, est faible et fragile : c’est-à-dire toute sorte de victime. Si la responsabilité assume le caractère de devoir c’est en tant qu’« obligation de porter secours au périssable ».[7]

Dans les dernières pages de l’essai qu’on vient d’étudier, les noms qui reviennent sont ceux de Jonas et Levinas: le premier a eu le mérite, aux yeux de Ricœur, d’avoir attiré l’attention sur la dimension temporelle des conséquences des actions (en mettant l’accent sur la dette du sujet des comparaisons de populations futures) et sur la dimension spatiale  (puisque c’est le monde dans son intégrité, menacé par un développement technologique incontrôlé et potentiellement mortel, qui doit être préservé). Tandis que Levinas eut le mérite de repenser sous un autre jour la dimension de l’altérité comme constitutive de l’appel à la responsabilité adressée au cœur même du sujet. Il est nécessaire qu’il y ait à l’origine quelque chose qui a été confié par autrui au sujet afin qu’il puisse en être tenu responsable. C’est toujours le soin d’Autrui qui appelle mon engagement. C’est d’Autrui que je suis responsable[8].

Cependant Ricoeur, comme nous l’avons vu plus haut, va au-delà de Levinas en restant fidèle à l’enseignement d’Aristote et l’herméneutique du soi présentée dans Soi-même comme un autre. Une extension de la responsabilité infinie menacerait d’une part la reconnaissance du rôle de la volonté individuelle et d’ascription des actions individuelles en facilitant les attaques des critiques du fatalisme morale et historique, autres termes pour définir la de-responsabilité au plan moral. D’autre part, toute idée de réciprocité – et de solidarité conséquente – échoueraient si elle devait répondre à tout le monde de indifféremment. La solution est à nouveau une morale de la mesure dérivée de la tradition de phronesis aristotélicienne, médiation recherchée entre Hegel et Jonas, Aristote et Kant, qui a pour but d’atténuer l’ampleur de la différence absolue d’Autrui chez Levinas :

Entre la fuite devant la responsabilité des conséquences et l’inflation d’une responsabilité infinie, il faut trouver la juste mesure et répéter (…) le précepte grec : “Rien de trop” (…) dans la mesure où on est rendu responsable par l’injonction morale venue d’autrui, la flèche d’une telle injonction vise un sujet capable de se désigner comme l’auteur de ses actes. (…) Le sujet est alors à nouveau responsabilisé par l’appel à la vertu de prudence (…) Mail il ne s’agit plus alors de la prudence au sens faible de prévention, mais à celui de la prudentia, héritière de la vertu grecque de phronesis, autrement dit au sens de jugement moral circonstancié. C’est en effet à cette prudence, au sens fort du mot, qu’est remise la tâche de reconnaître parmi les conséquences innombrables de l’action celle dont nous pouvons légitimement être tenus responsables, au nom d’une morale de la mesure.[9]

2. De l’éthique de la promise à l’éthique du don : responsabilité et reconnaissance
Les considérations présentées ci-dessus servent à clarifier la nature de la relation que l’auteur a établie au fil du temps avec ses convictions philosophiques antérieures. La conception de l’éthique chez Ricoeur s’est progressivement articulée, on l’a vu, grâce à une médiation inépuisable parmi les instances universalistes de la morale de Kant et de Hegel d’une part et la nécessité de sauvegarder le moment de la décision individuelle de l’autre part, en reprenant la prudentia classique. Toutefois, c’est l’horizon conceptuel qui ne change pas et qui permet à toute éthique d’avoir un sens et sans lequel elle ne serait même pas concevable.

Ce fond, on peut désormais le comprendre, c’est celui des institutions sociales et de la vie communautaire : l’idée même de la responsabilité, comme nous l’avons vu dans la section précédente, reflète la contribution à la morale entrainées par les concepts de sollicitude et responsabilité, centrales dans sa philosophie.

L’impasse provoqué par le poids excessif d’une moral ontologisée ne serait surmontée que par l’établissement d’un dialogue multiples parmi les individus libres et agissants parmi eux et en relation dialectique entre la norme et le sentiment, la loi et l’éthique, le jugement universel et singulier. Le dialogue doit être, dans notre espoir théorétique, toujours consacré à la recherche d’une zone médiane dans laquelle l’éthique, la morale et la politique se croisent. On doit alors parler de l’espace généré par la tension dialectique entre amour et justice dans laquelle la responsabilité morale de l’agent est retrouve la puissance de son expression politique. Rappelons également que juste cela ça vient d’être l’un des points non résolus de la philosophie de Levinas et qui retrouve l’intérêt de Ricoeur dans les textes des années ‘90.

Amour et justice est le titre d’une conférence en 1989[10]  qui nous clarifie le chemin philosophique entrepris au même temps que les analyses sémantiques du soi. Avec ce texte, Ricœur met en évidence les articulations naturelles au sein desquelles la vita activa[11], c’est-à-dire à l’intérieur desquelles il est possible d’imaginer une responsabilité morale qui ne se limite pas à la rencontre face à face avec Autrui mais qui prend en compte la dimension ultérieure du Tiers et de l’’anonymat qui caractérise toute société démocratique dans sa pluralité incalculable.

Avec la dialectique entre amour et justice, Ricœur fait explicitement référence à la disproportion pratique et sémantique des deux termes. Face à cette différence, la tâche du philosophe consiste à rechercher les médiations à sauvegarder. Ceux-ci sont indispensables pour ne pas tomber dans un double danger inhérent à toute philosophie d’amour ou de justice séparées :  la polarisation entre facile et stérile sentimentalité qui n’a pas le pouvoir d’affecter la praxis sociale et d’autre part une normalité qui, en universalisant la norme, ne greffe pas les nuances éthiques de l’action et choix quotidiennes du sujet. La question initiale à poser donc est de savoir si l’amour peut engendrer une force normative semblable à l’impératif kantien ou au calcul utilitariste.

En ce sens, la langue est un bon point de départ. Les discours amoureux et juridique ont des langages très différents mais ils atteignent un point de rencontre sous la forme de l’impératif : tout comme le langage de la loi commande, le langage de l’amour commande aussi (le commandement que Ricoeur a en tête est celui d’impératif « Aime-moi » tel que prononcé par Dieu des Écritures). La différence réside dans le sens et l’espoir de ce dernier commandement : l’impératif de l’amour, contrairement à celui de la norme, est poétique et il lie par tendresse :

l’amour est objet et sujet du commandement; ou, en d’autres termes, c’est un commandement qui contient les conditions de sa propre obéissance par la tendresse de son objurgation: Aime moi! (…)

Le commandement d’amour se révèle irréductible, dans sa teneur éthique, à l’impératif moral, légitimement égalé par Kant à l’obligation, au devoir, par référence à la récalcitrante des inclinations humaines.[12]

L’amour se présente alors ainsi comme un moteur qui est capable de relier deux agents libres tels et au même temps il a la force de dépasser la relation bipolaire initial pour sublimer, par une surcharge herméneutique, en charitas, le grec agapé.

Du côté de la justice Ricoeur souligne que, si nous entrons dans le sens traditionnel de la justice distributive que nous rencontrons dans la tradition philosophique qui remonte à Aristote, on peut observer comment les pratiques de justice ne sont pas en fin de compte que des vertus possédées par les institutions, vertus institutionalisées, dont à chaque individu est donné une partie des avantages et de tâches. Nommer la justice une vertu signifie se souvenir de sa valeur morale sous-jacente.

Cependant, au contraire de l’amour, elle a une limite qui l’éloigne du domaine privilégié de la solidarité sociale désintéressée : la reconnaissance mutuelle des intérêts particuliers et le calcul utilitaire qui pourrait nuire à une authentique compréhension morale. La véritable reconnaissance chez Ricoeur l’on retrouve plus dans l’évaluation d’une dépendance mutuelle du sujet à autrui et vice versa. La sublimation de l’idée de la justice va s’obtenir par la reconnaissance de la dette constitutive qui lie chacun sujet à son prochain et ça c’est la sublimation thématisée par la médiation – toujours instable – avec l’amour, origine d’un véritable mouvement créatif (invention est le terme utilisé par Ricoeur) de l’agir responsable :

Il m’a paru qu’entre la confusion et la dichotomie pure et simple, une troisième voie, difficile, était à explorer, où la tension, maintenue entre les deux revendications distinctes et parfois opposées, pourrait être l’occasion de l’invention de comportements responsables[13].

L’homme est appelé au bien par une dimension ultérieure qui l’incite en continuation à agir selon ce que Ricœur appelle l‘ économie du don, configurée comme une instance supra-éthique au service d’une logique de l’excès. Cette économie est résumée selon l’auteur par le précepte biblique à tendre l’autre joue, par l’invitation à aimer son ennemi. Le commandement de l’amour, formulé à travers l’impératif „Aimez-moi !“ que Dieu adresse à ses créatures, sollicite une praxis qui dépasse l’éthique pour atteindre, dans son mouvement infini, un point où elle est appelée à se confronter avec l’équilibre établi par la leçon d’une autre règle biblique, la Règle d’Or, aux yeux de Ricœur, expression d’une logique d’équivalence et de réciprocité implicite dans les réflexions modernes sur la justice distributive[14].

En suivant la tradition initiée par la recherche de Mauss, l’éthique du don a aussi le mérite de dépasser le thème de la reconnaissance parmi les sujets interprétée comme une lutte et repenser la réciprocité en termes d’échanges libres et désintéressés. L’idée violente de la lutte pour la reconnaissance fait place à l « idée non violente de don »[15].

Quelle est la conséquence de la rencontre entre l’éthique du don et la règle d’or ? L’éthique de la disproportion est maintenant tempérée par une interprétation qui lie le commandement de l’amour à la générosité. Le « correctif » au commandement de l’amour impose de comprendre le do ut des pas comme un calcul et équilibrage relationnel mais comme un don généreux et désintéressé qui sauvegarde le besoin de réciprocité, fondement de chaque communauté

Sans le correctif sans cesse tirée dans le sens d’une maxime utilitaire dont la formule serait do ut des, je donne pour que tu donnes. La règle : donne parce qu’il t’a été donne, corrige le « afin que » de la maxime utilitaire et sauve la Règle d’Or d’une interprétation perverse toujours possible (…) La même règle paraît susceptible de deux lectures, de deux interprétations, l’une intéressée, l’autre désintéressée. Seul le commandement peut trancher en faveur de la seconde contre la première[16].

La générosité inhérente à l’acte de donner dépasse le conflit pour la reconnaissance élaboré par Hegel et surmonte en même temps la vision hostile que le sujet peut avoir de l’Autre au sein d’une conscience pas encore ouverte à des pratiques éthiques authentiques.

Mettre de côté la subordination absolue du sujet à l’autre et en même temps la version hostile de la liberté naturelle signifie que Ricœur conçoit la responsabilité pas seulement en termes de prendre soin d’autrui en tant qu’autrui quant aussi prendre soin du soi-même, deuxième terme d’une polarité indispensable pratique engagé dans le mouvement du désintéressé.

Si c’est vrai que « de l’intime certitude d’exister sur le mode du soi, l’être humain n’a pas la maitrise ; elle lui vient, lui advient, à la manière d’un don, d’une grâce, dont le soi ne dispose pas »[17] alors c’est précisément sur cette précarité existentielle, déjà largement rappelée par les auteurs que nous avons étudiés jusqu’à présent, qu’il faut fonder des pratiques concrètes de moralité et de responsabilité en situation. Tout juste un ipse et un autrui qui se reconnaissent comme don gratuit peuvent en effet constituer des pôles d’une relation cherchant à combiner l’impératif de l’amour avec le formalisme de la loi au sein d’une communauté juste.

L’échange et le rituel du don qu’on observe au sein des sociétés contemporaines, résidu des pratiques primitives immémoriales, sont le témoignage d’un nouveau modèle de dialectique de la reconnaissance non-violente. Au niveau de l’échange est le donneur qui donne soi-même tout entier dans la symbologie liée au don[18]: c’est pourquoi la réciprocité n’est pas assurée par la valeur du don même, mais par la reconnaissance d’une dépendance mutuelle qui dépasse les limites des respectifs intérêts, en alimentant une véritable gratitude envers le prochain :

En effet, on peut dire que dans un rapport de cadeau, d’échange, de bienfait, nous avons une expérience vive de reconnaissance ; nous ne sommes plus en demande d’insatiable mais nous avons en quelque sorte le pur bonheur d’être reconnaissant et d’être reconnu. Soulignons le fait qu’en français le mot reconnaissance signifie deux choses, être reconnu pour qui on est, reconnu dans son identité, mais aussi éprouver de la gratitude – il y a, on peut le dire, un échange de gratitude dans le cadeau.[19]

L’attaque contre la morale utilitaire pousse Ricœur à réfuter le même calcul rawlsien du maximum, qui risque de ne se présenter que comme calcul déguisé[20]. Toute théorie de la justice qui exclut l’équilibre établi par la générosité réciproque tendra à se constituer comme une simple théorie abstraite.

Pour trouver le juste équilibre entre la logique de la surabondance typique de l’amour et la logique d’équivalence typique de la norme, on ne peut rien faire que donner droit de citoyenneté au besoin éthique de l’amour dans le domaine pratique sous l’égide de la justice[21]. Ce n’est qu’ainsi que nous allons pouvoir identifier un critère facile pour notre responsabilité morale en même temps envers le proche et l’éloigné, en reconnaissant l’identité particulière tant de l’autre que du Tiers :

L’autre c’est aussi l’autre que le « tu ». Corrélativement, la justice s’étend plus loin que le face-à-face.[22]

3. La justice et les institutions
Cette responsabilité indique la capacité du sujet à répondre de ses actions face à une institution juste : je suis responsable face au prochain que face aux institutions. Le Tiers chez Ricoeur ne se limite pas à m’appeler d’un fond infini aussi immémorial que le Visage lévinassien mais il commande la justice, il est un “maître de justice”[23].

L’élargissement des nouvelles relations établies par la justice ne permet cette rencontre avec chacun que dans l’anonymat de la communauté politique : si d’un côté les liens personnels perdent de leur intensité, de l’autre les demandes de reconnaissance typiques d’un régime d’égalité vont se multiplier et avancer leur droits[24].

Ricœur veut ainsi souligner le rôle de la réponse du sujet à autrui tire sa force la plus complète au sein d’une communauté d’égaux : c’est là que le soi et autrui peuvent se reconnaître agents et narrateurs. C’est dans cette esprit qu’on vient de comprendre comment à côté d’une responsabilité horizontale, parmi les citoyens, s’établit ce que l’auteur appelle une responsabilité hiérarchique verticale de ceux qui occupent des rôles clés au sein des institutions démocratiques :

Je suis alors responsable de mes subordonnés. Je réponds pour eux de leurs actes devant l’instance qui demande des comptes. Aux deux formes en quelque sorte horizontales de responsabilité s’ajoute une responsabilité verticale, hiérarchique.[25]

La dernière préoccupation du philosophe est donc celle de maintenir un espace moral qui ne se limite pas seulement au droit pénal et au châtiment de la faute mais implique aussi une prise en charge par les représentants des positions institutionnels qui est par sa nature posture politique. Le philosophe invite implicitement les corps politiques à avoir la force de demander l’assomption de responsabilité et de gérer si possible les pratiques de réconciliation que nous intéressent.

La démocratie, en tant que système à la recherche constante de légitimité et donc constitutivement en « crise » en raison de son instabilité, favorise la constitution de sphères de responsabilité toujours nouvelles qui mènent à des choix éthiques légitimé par la force de l’action politique. Le jugement politique tend donc à assumer les caractéristiques d’un jugement pluriel, public et pratique (phronesis) du même ordre de jugement dans les décisions éthiques[26].  Toute action publique de la communauté des citoyens est en ce sens la manifestation authentique de la tâche de l’individu dans le cadre de la démocratie.

Ici aussi, les figures politiques de l’espoir peuvent être constituées comme assurance de la bonne action politique qui ne retombe pas dans l’opportunisme et le calcul utilitaire. Grâce à ses trajectoires – toujours précaire, en constante évolution -, les institutions assistent à la possibilité d’un monde différent. Toute action éthique au sein de la communauté sera témoignage[27]. La vie du sujet e et l’institution sont unies, par leur fragilité intrinsèque[28].

En conclusion, à travers la nouvelle herméneutique du soi et la philosophie de la justice comme véritable accomplissement de l’éthique, on a trouvé les présupposés qui permettent à l’individu de s’ouvrir à autrui et d’atteindre ses besoins dans une dimension pratique concrète reliée aux demandes de justice. L’ipse peut être capable de donner et recevoir, peut être capable, au sein d’une communauté demander le pardon et offrir le pardon :

« Soi » est immédiatement structuré par l’altérité. Dans Soi-même comme un autre, j’ai voulu montrer que l’ipséité – la propriété réflexive du soi – était essentiellement liée à sa capacité réceptive à l’égard de l’altérité.[29]

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N o t e s
[1] P. Ricœur, « Le concept de responsabilité », dans Le juste, op. cit., p. 42-43.
[2] Ivi, p. 42. Cfr. aussi M. S. Moore, Law and Psychiatry. Rethinking the Relationship, Cambridge University Press, Cambridge, 1984; A. MacIntyre, After Virtue, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1981, p. 205.
[3] Ivi, p. 52.
[4] Ivi, pp. 56-57.
[5] Ivi, pp. 61-62. Le concept de responsabilité, en coordination avec celui d’imputation, réoriente l’attention du discours philosophique dans la direction de charger sur les épaules l’altérité de l’Autre, possible victime de violence. La responsabilité entendue dans le sens de réponse originaire garanti à quelqu’un a ce privilège de faire ressortir le terme d’un aplatissement sur la sphère juridique. Pour une introdution au débat cfr. H. L. Hart, Punishment and Responsibility, Oxford University Press, New York, 1968 ; J. Feinberg, Doing and Deserving: Essays in the Theory of Responsibility, Princeton University Press, Princeton, 1970 ; P. F. Strawson, “Freedom and Resentment,” Proceedings of the British Academy, 48: 1–25, 1962.
[6] Ivi, p. 62.
[7] P. Ricœur, Lectures I, op. cit., p. 288. Voir aussi pp. 292-293.
[8] « Je me sens très proche de Lévinas », déclare Ricœur dans un entretien. Le philosophe reconnaît la même sensibilité pour les nouveaux défis et les nouvelles questions suscitées par une philosophie de la responsabilité pleinement acceptée, bien qu’il reconnaisse que ce qui le sépare de l’auteur lituanien est le poids excessif donné par celui-ci à la figure et à l’initiative d’autrui. Voir P. Ricœur, “Entretien”, Ethique et responsabilité. Paul Ricœur, op. cit., pp. 24-25.
[9] P. Ricœur, « Le concept de responsabilité », op. cit. pp. 68-69. Du rapport ipseité et alterité une responsabilité qui prend en charge le caractère réciproque d’actions vertueuses : ce serait la correcte interprétation de l’Anerkennung hégélien.
[10] P. Ricœur, Amour et Justice, Points, Paris, 2008. La relation entre amour et justice sera une constante des réflexions des années ’90, voir aussi l’article P. Ricœur, Théonomie et/ou autonomie, “Archivio di Filosofia”, 62, 1994, pp. 19-36. Sur cet intérêt voir aussi Simon, Ethique de la responsabilité, cit., pp. 164-166.
[11] Paul Ricœur a écrit la préface à l’édition française du texte de H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, Paris, 1983.
[12] P. Ricœur, Amour et justice, op. cit., p. 22.
[13] Ivi, p. 32. Voir J. Halpérin, « Passé, présent, futur », dans J. Aeschilimann (dir.), Ethique et responsabilité. Paul Ricœur, op. cit., p. 43 : « Paul Ricœur sait, bien sûr, que ce n’est pas parce que la langue hébraïque est pauvre qu’elle n’a qu’un seul mot pour définir à la fois la justice et la charité (tsedaka) : c’est en raison même de la signification profonde de la justice. La charité, ce n’est pas l’aumône ou la bienfaisance ; c’est un droit pour celui qui en bénéfice et un devoir pour celui qui la donne. La justice sociale, pierre angulaire de la vie publique et de la théologie du judaïsme, est aussi le levier le plus puissant du progrès historique ».
[14] L’attention  réservée à praxis, à l’intention et au consensus qui forment les éléments indispensables  de la sagesse pratique, en tempérant en même temps le caractère de la passivité absolue du sujet de Levinas, rapproche le mouvement théorique de Ricoeur à celui de Sartre pour ce qui concerne la « moral en situation » : la praxis est le produit d’un soi éthique: “La question du qui de l’action, pour parler comme Hannah Arendt, quand elle introduit sa théorie selon laquelle l’action au sens fort, distinct du labeur  et de l’œuvre, fait appel au récit pour raconter le qui de l’action” (P. Ricœur, “L’attestation”, cit., p. 391). Sur le « commendament d’amour » cfr.  « Tu aimeras – quel paradoxe dans ces mots ! Peut-on commander à l’amour ? L’amour n’est-il point destin et saisissement, et s’il est libre, n’est-il pas offrande libre ? Et voilà qu’on le commande ? Non, certes, on ne peut commander l’amour ; nul tiers ne peut le commander ni l’obtenir par la force. » (Franz Rosenzweig, L’étoile de la rédemption, trad. A. Derczanski et J.-L. Schlegel, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2003, p. 210.) Ricoeur aborde la conception de l’amour chez Rosenzweing dans Amour et justice, cit., pp.20-22.
[15] P. Ricœur, La lutte pour la reconnaissance et l’économie du don, Journée de la philosophie à l’UNESCO 2002, ed. UNESCO, Paris, 2004, p. 11.
[16] P. Ricœur, Amour et justice, op. cit., p. 39.
[17] P. Ricœur, Réflexion faite, Esprit, Paris, 1995, p. 108.
[18] Voir P. Ricœur, La lutte pour la reconnaissance et l’économie du don, pp. 24-26. Sur liberté et tolérance Voir aussi P. Ricœur, “Tolérance, intolérance, intolérable”, in Lectures 1, cit., pp. 294-311.
[19] Ivi, p. 27. Le caractère de l’échange du don est une pratique éthique authentique parce qu’elle ne nait pas de l’intérêt mais du sentiment de la dette réciproque, catégorie liée à la pratique de l’amour. On peut affirmer que le caractère infini de l’appel à autrui chez Levinas vient d’être replacé par ce sentiment de dette parmi agents responsables.
[20] Voir P. Ricœur, Lectures 1, cit., p. 190.
[21] Voir P. Ricœur, Amour et justice, cit., p. 41. Dans Soi-même comme un autre, texte où Ricœur avait déjà traité la question de la justice comme extension des relations interpersonnelles qui transcendent la relation dyadique du face à face, la figure du Tiers inclus dans la pluralité constituante du pouvoir va remplacer la réflexion précédente sur le socius.
[22] Ivi, p. 227. Voir. P. Ricœur, « Le socius et le prochain », Histoire et vérité, Seuil, Paris, 1955. Dans cette étude, à travers le commentaire de la parabole du Bon Samaritain, l’auteur établit une continuité dialectique entre « relations courtes » interpersonnelles et « relations longues » institutionnelles. Ricœur utilise la parabole pour démontrer le caractère inéluctable de l’institution en tant qu’instinct social en rejetant l’idée que, à travers le modèle de la rencontre avec le Proche, on peut réellement imaginer une communauté sans médiation.
[23] Voir P. Ricœur, Soi-même comme un autre, cit., p. 221.
[24] Le discours sur la reconnaissance et la justice s’exerce à la suite d’une analyse plus large des vertus qui prend en compte l’ordre de priorité établi entre les « biens sociaux primaires » et les valeurs implicites derrière au choix de cet ordre : « l’idée de justice requiert la médiation du politique pour rejoindre la pratique de la justice et ses institutions propres » . La médiation rend le Tiers, le chacun, non « le on, mais le partenaire d’un système de distribution. La justice consiste précisément à attribuer à chacun sa part. Le chacun est le destinataire d’un partage juste » (Voir P. Ricœur, Lectures I, op. cit., pp. 192 et 259).
[25] P. Ricœur, « Citation à témoin : la malgouvernance », Epilogue, Le Juste 2, op. cit., p. 290 – transcription de la déposition de Paul Ricœur citée comme témoin dans l’affaire du sang contaminé, 19 février 1999.
[26] P. Ricœur, Lectures I, cit., p. 268.
[27] P. Ricœur, « E. Lévinas, penseur du témoignage », op. cit., pp. 17-40.
[28] Sur l’espoir généré par au sein des institutions politiques considérées dans leur nature fragile voir. G. Vincent, Sens de l’institution, loi du partage. Une lecture de l’œuvre de P. Ricœur, « Autres Temps. Cahiers d’éthique sociale et politique », 61, 1999, pp. 27-42. Sur la fragilité du discours juridique et institutionnel voir P. Ricœur, Lecutres I,cit., pp. 194-195.
[29] P. Ricœur, “Entretien”, Ethique et responsabilité, Paul Ricœur, op. cit., p. 24. « Pour se considérer soi-même comme un autre, il faut être prêt à se perdre et a se détacher assez de l’identité pour la retrouver. Mais, pour pouvoir se rendre disponible, encore faut-il s’appartenir » (P.-O. Monteil, Ricœur Politique, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2013, p. 341).

Gianluca Ronca
Collegio Ghislieri – IUSS
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