UNE MYTHOCRITIQUE DE LA CHANSON DE GUILLAUME EST-ELLE POSSIBLE ? DU VISIBLE À L’INVISIBLE DANS LA GESTE DE GUILLAUME D’ORANGE ET DE SES COMPAGNONS DE GUERRE

Is The Song of William susceptible to myth criticism? From the visible to the invisible in the Old French epic of William of Orange and his companions in arms[1]

The main aim of the present study is to examine the appropriateness of myth criticism methods in the context of medieval French literature. The first part of the essay is conceived as a brief confrontation, opposing the theory of Mircea Eliade concerning the repetition of the Hero Archetype in traditional epics to some textual elements in the chansons de geste, analogous to “visible mythemes” which tend to appear in popular epic poetry. Through a series of comparisons, we come to the conclusion that the interpretation to which the “eliadian” scheme leads us expands the boundaries of a literary myth (an academic invisible) and rather aspires to a “theology of text” (a lived invisible). The second part of the article provides the reader with a practical application of the results of the preceding reflections, and includes an interpretation of the story of Vivien based on the Christian concept of Imitatio Christi.

Keywords · medieval French literature, Old French heroic epic, myth criticism, invisible and visible in a literary text, Chanson de Guillaume (Song of William), Imitatio Christi

 

À partir des années 1970, le terme « mythocritique », désignant un ensemble « rénové » d’approches critiques et analytiques portant sur l’éventuelle présence d’éléments mythiques dans un texte littéraire, a commencé à se répandre dans les milieux littéraires en ouvrant à la science littéraire une nouvelle perspective[2]. Il est vrai que de prime abord, la relation entre la mythocritique et la dialectique du visible et de l’invisible peut sembler un peu floue ; cependant, si on regarde cette méthode d’analyse littéraire de plus près, on remarque que toute interprétation mythologique est un jeu constant entre le visible et l’invisible. Dans le cadre d’une œuvre littéraire, le visible est représenté surtout par des éléments textuels qui signalent la présence éventuelle des « mythèmes » (ce que Pierre Brunel appelle « l’émergence du mythe »[3]), alors que l’interprétation à laquelle conduisent ces indices est par définition une interprétation qui touche l’invisible, l’atemporel ou le transcendantal. Toutefois, il faut se rendre compte qu’à l’égard de cette notion du « transcendantal », les chansons de geste (qui, comme l’annonce le titre, constitueront le centre d’intérêt de cette étude) représentent un type d’écriture très spécifique. En raison de la corrélation qui existe entre la littérature médiévale et la société chrétienne dont elle est le fruit, l’épopée française s’avère extrêmement fascinée par toute forme d’invisible. Par conséquent, pour que l’invisible auquel devrait aboutir notre analyse soit conforme à la pensée médiévale, il nous semble nécessaire, en bref, d’enrichir les procédés traditionnels de la mythocritique par plusieurs aspects « nouveaux ».

De ce fait, on se concentrera d’abord sur l’opposition entre le visible textuel dans les épopées populaires, auxquelles les procédés de la mythocritique se sont révélés facilement applicables, et le visible textuel dans les chansons de geste. Or, compte tenu du caractère complexe de la problématique ébauchée, on se permettra de restreindre le terme « mythocritique » à la théorie de Mircea Eliade concernant l’imitation de l’archétype dans les épopées traditionnelles. On est conscient que dans ces conditions, les résultats de la recherche ne seront que partiels ; cependant, on estime qu’une telle approche peut être productive quand même, notamment si on prend en considération les trois raisons suivantes. Tout d’abord, pour montrer la complémentarité et l’opposition entre le visible et l’invisible dans les chansons de geste, il est mieux de choisir une méthodologie plus simple, mais cohérente et pertinente. Et Le mythe de l’éternel retour, l’ouvrage de Mircea Eliade[4] qu’on prendra comme point de départ, aborde – à la différence de la plupart des essais des autres mythologues du XXe siècle, à l’exception de, par exemple, Georges Dumézil – d’une façon intelligible non seulement le mythe et la mythologie en général, mais aussi les enjeux des épopées et des ballades populaires. Ensuite, les principes de la mythisation formulés par Mircea Eliade ne se limitent pas à l’art des sociétés dites « primitives », mais se veulent universelles, c’est-à-dire valables en tout temps et en toutes circonstances, qu’il s’agisse de l’Antiquité, du Moyen Âge ou de la postmodernité. Et enfin, toute écriture épique qui contient des références mythologiques (peu importe s’il est question des mythes orientaux, antiques ou bibliques à cet effet) et crée ainsi un « mythe littéraire »[5], aspire en même temps au mythe ethno-religieux tel que le définissent les anthropologues des religions (y compris Mircea Eliade)[6].

Après avoir confronté quelques affirmations de Mircea Eliade avec la réalité factuelle de la plupart des chansons de geste, on se focalisera sur l’interprétation des indices textuels liés au personnage de Vivien, neveu de Guillaume d’Orange et un des protagonistes de la Chanson de Guillaume, dont les combats et le martyre constituent l’histoire centrale de la première partie de la chanson choisie. Plus concrètement, on verra comment les phénomènes visibles tels que l’intertextualité, l’analogie et le parallélisme, ainsi que certains traits de caractère ou actions marquantes du héros, orientent notre interprétation basée sur le schéma d’Eliade vers un invisible inattendu, plus précisément vers une « théologie du texte ».

 

Les mythèmes visibles dans les épopées des cultures archaïques et l’émergence du mythe dans les chansons de geste

La plus grande partie du matériel théorique nécessaire à cette étude est extraite du sous-chapitre « Les mythes et l’histoire » de l’œuvre de Mircea Eliade[7]. L’intérêt principal en est d’expliquer l’importance de la répétition des rituels archétypaux dans les sociétés primitives. Quoique l’anthropologie des communautés archaïques n’ait pas de rapport direct avec le sujet qui nous occupe, le renouvellement cyclique des actes originaires de l’âge mythique d’une nation est profondément lié au concept d’héroïsme qui a une grande importance dans toutes les épopées traditionnelles et populaires. Mircea Eliade affirme que selon la « conception ontologique “primitive”[,] un objet ou un acte ne devient réel que dans la mesure où il imite ou répète un archétype »[8]. Appliqué au concept d’héroïsme : un personnage épique ne peut devenir héros que s’il copie les prouesses de ses prédécesseurs mythiques. Mais cette notion de reprise d’un acte déjà accompli est un peu ambiguë ; en effet, elle peut être comprise et interprétée de différentes façons. Pour cette raison, Eliade souligne que cette imitation ou répétition demande beaucoup plus qu’une simple reproduction des comportements d’un héros fantastique. Elle exige que celui qui l’exécute renonce à son individualité et accepte la manière d’être de son modèle. Selon lui, « l’homme des cultures traditionnelles ne se reconnaît comme réel que dans la mesure où il cesse d’être lui-même (pour un observateur moderne) et se contente d’imiter et de répéter les gestes d’un autre »[9]. Ainsi, les protagonistes des épopées traditionnelles, en effectuant ce « renoncement à leur spécificité personnelle », perdent leur existence historique et se métamorphosent en quelque sorte en leurs modèles mythiques. Dans la deuxième partie du chapitre, Eliade donne une interprétation mythologique des gestes yougoslaves de Marko Kraljevic et de quelques personnages du cycle de Kiev. Or, toutes les épopées et ballades qui sont évoquées pour servir de support à l’hypothèse sur la nature mythique de la poésie héroïque sont issues d’une tradition populaire et folklorique soit entièrement païenne (c’est-à-dire non chrétienne), soit « hybride » (mélangeant assez fréquemment les éléments chrétiens avec le merveilleux païen). À cet égard, même si on n’était pas tout à fait d’accord avec Eliade, il serait difficile de nier complètement sa manière de concevoir la « mythisation » des héros épiques. Les chants populaires ne sont pas des annales et il est naturel que les légendes folkloriques (surtout si les prototypes de leurs héros ne sont pas les saints dont le culte est bien établi dans le milieu d’où elles sortent, comme c’est le cas de certaines légendes occidentales[10]) aient une tendance à remplacer, au fil des siècles, le caractère réel d’un personnage illustre par le caractère mythique de l’archétype qui lui ressemble. Ainsi, dans le cas des gestes traditionnelles (notamment celles des nations slaves où la frontière entre les motifs chrétiens et le vieil imaginaire païen est souvent indistincte[11]), la méthode présentée par Mircea Eliade (reposant sur la répétition des archétypes, le renoncement à soi-même et l’antihistoricisme de la conscience populaire) semble facilement applicable.

Or, malgré le caractère quasi universel de cette théorie, les chansons de geste semblent faire exception. Du moins, elles ne correspondent pas entièrement à cette vision des chants héroïques. En simplifiant, cette réalité est due avant tout aux deux phénomènes (analogues aux mythèmes visibles dans les épopées populaires, qui suscitent l’émergence du mythe) qui distinguent visiblement les gestes françaises des autres cycles épiques.

Premièrement, contrairement à ce qu’affirme Mircea Eliade à propos des épopées traditionnelles, les héros les plus illustres des chansons de geste conservent tout au long de leur existence épique leurs traits individuels[12]. Quels que soient la grandeur et le caractère « mythique » et universel de leurs prouesses, ils ne peuvent jamais se confondre avec d’autres héros littéraires, justement en raison des particularités qui – dans n’importe quelle situation – font partie intégrante de leur identité épique. Dans la Chanson de Guillaume, chacun des trois héros possède un trait unique (le curb niés et le rire dans le cas de Guillaume, le grand tinel dans celui de Renouart et dans le cas de Vivien, son vœu intime fait à Dieu) qui le distingue visiblement de ses modèles archétypaux, l’empêche de se fondre dans les masses et le rend, en effet, beaucoup plus « authentique » et « reconnaissable » que ne le font ses actes héroïques.

Et deuxièmement, les chansons de geste, en comparaison d’un grand nombre d’autres épopées, représentent une littérature souverainement chrétienne qui essaie d’éliminer volontairement toute marque de paganisme et de tendances culturelles ou religieuses qui sont en opposition avec les croyances de l’Église. Or, on est bien conscient que cet énoncé peut prendre très facilement des connotations négatives. Pour cette raison et par crainte d’être mal compris, nous voudrions avant tout souligner qu’en parlant du « paganisme », nous ne pensons pas à l’héritage culturel gréco-romain, comme certains pourraient le croire à tort, mais aux pratiques bestiales (telles que les sacrifices humains et les jeux sanglants) qui ont négativement marqué l’Antiquité tardive, et même le haut Moyen Âge[13]. En plus, si l’Église essayait d’écarter certains aspects du patrimoine antique et barbare, ce n’était pas par volonté d’exercer une censure sur la production littéraire, mais parce que ses autorités cherchaient à purifier la foi du peuple et à détacher les fidèles du culte païen et des pratiques brutales. Après quoi, la culture de l’Europe de l’Ouest était en mesure de représenter une culture exclusivement chrétienne, cultivée par l’Église catholique qui a retravaillé et complété les aspects du patrimoine gréco-latin qui lui semblaient productifs et convenables même pour l’art chrétien. Et – vu qu’il est tout à fait naturel et juste qu’une culture produise des textes qui correspondent sans réserve à sa pensée – il ne faut pas s’étonner du fait que même le concept d’héroïsme dans les chansons de geste se révèle chrétien.

Or, avant de déterminer les singularités du phénomène d’imitation d’un « Modèle invisible » dans la Chanson de Guillaume, qui permet au lecteur de passer des éléments textuels visibles à une interprétation qui vise le transcendantal, on récapitulera dans le tableau suivant les traits apparents qui distinguent les chansons de geste des épopées traditionnelles dans leur rapport avec le mythe :

 

La théorie de Mircea Eliade (les mythèmes visibles dans les épopées traditionnelles) Les éléments analogues aux  « mythèmes visibles » dans les chansons de geste
personnages : le renoncementà la spécificité personnelle personnages : les particularités
le mélange du paganismeet du christianisme l’esprit purement chrétien

 

L’imitation du « Modèle invisible » dans la Chanson de Guillaume

Comme on vient de le constater, l’archétype avec lequel travaille la Chanson de Guillaume est dans sa nature vraiment différent de ceux des épopées dites traditionnelles. Si l’on compare Guillaume, Vivien ou Rainouart aux grands héros des mythes indo-européens, on se rend compte qu’ils diffèrent à plusieurs égards des protagonistes typiques des poèmes populaires, construits conformément à l’archétype du héros tel que le présente Mircea Eliade. Plus concrètement, sur le plan visible du texte, ils ne luttent pas contre les dragons, aucun d’entre eux n’est d’origine surnaturelle et ni les uns ni les autres n’ont de pouvoirs magiques[14]. Certes, on ne peut pas nier le fait qu’ils imitent un certain archétype, mais à en juger par ces données, il ne s’agit pas de l’archétype « des Héros des mythes anciens »[15]. En fait, tout ce qui a été évoqué jusqu’ici (à savoir l’esprit « quasi individualiste » et chrétien de la littérature occidentale au Moyen Âge) converge vers une seule direction : le modèle de tout héros dans la Chanson de Guillaume n’est autre que le Christ lui-même, tel que le présentent les Écritures. Parmi de nombreux passages bibliques qui définissent en quelque sorte le concept de Dieu-guerrier (qui n’est dans les prophéties messianiques rien d’autre qu’une préfiguration de Jésus) et qui mettent en avant ses attributs de héros, on peut citer la vision du Combat de Yahvé dans le livre du prophète Habaquq qui prévoit les « prouesses » du Messie qui viendra pour délivrer son peuple :

 

Est-ce contre les fleuves, Yahvé, que flambe ta colère,
ou contre la mer ta fureur,
pour que tu montes sur tes chevaux,
sur tes chars de salut ?
Tu mets à nu ton arc,
de traits tu rassasies l’Amorite.
[…]
Tu t’es mis en campagne pour sauver ton peuple,
pour sauver ton oint,
tu as abattu la maison de l’impie,
mis à nu le fondement jusqu’au rocher.
Tu as percé de ses propres traits la tête de ses guerriers
qui se ruaient pour nous disperser, se flattant de dévorer en secret le pauvre.
Tu as foulé la mer avec tes chevaux,
le bouillonnement des grandes eaux ![16]

 

Dans la conception judéo-chrétienne, Dieu (et le Christ en particulier) est celui qui se bat pour son peuple, qui conduit les guerres de ses « élus » et qui délivre, sauve et protège son « héritage », c’est-à-dire ceux qui lui appartiennent. En même temps, ce sont des attributs qui caractérisent dans une certaine mesure les héros de la Chanson de Guillaume : ils combattent pour protéger la « dulce France », le pays auquel ils appartiennent, contre les invasions sarrasines, pour sauver le peuple des ravages de leurs ennemis et, enfin, pour libérer les captifs[17]. Mais dans leur cas, contrairement aux héros de quelques épopées populaires, il ne s’agit pas d’une reprise machinale des actes héroïques de leur « archétype ». Leur imitation du comportement de leur Maître est effectivement une Imitatio Christi, à savoir un « mode de vie » visant la perfection chrétienne particulièrement populaire au Moyen Âge[18]. Le Catéchisme de l’Église catholique résume les idées principales de cette « pratique » (si on peut l’appeler ainsi) de la manière suivante :

En toute sa vie, Jésus se montre comme notre modèle : il est « l’homme parfait » qui nous invite à devenir ses disciples et à le suivre : par son abaissement, il nous a donné un exemple à imiter, par sa prière, il attire à la prière, par sa pauvreté, il appelle à accepter librement le dénuement et les persécutions.[19]

Étant donné que les auteurs du manuscrit de Londres connaissaient certainement les principes de ce « cheminement spirituel », l’imitation de l’« archétype », c’est-à-dire l’imitation des hauts faits du Christ, de son sacrifice, de sa souffrance et de sa vie de prière, est – dans la Chanson de Guillaume – un phénomène bien conscient et intentionnel. Tous les héros de l’épopée, que ce soit Guillaume, Vivien, Renouart ou autres, sont délibérément construits comme ceux qui suivent leur Modèle divin. Bien entendu, ce fait n’est pas sans conséquence sur la nature de l’acte de répétition ou d’imitation dont parle Mircea Eliade. Vu que d’après la théologie chrétienne, l’homme (ni dans le monde réel, ni dans l’univers fictionnel d’une œuvre littéraire[20]) ne peut pas être l’égal de Dieu, son Créateur, il est évident qu’au cours de leur vie terrestre (qui représente d’ailleurs le sujet principal de l’épopée), les protagonistes de la Chanson de Guillaume ne peuvent pas se « transformer en archétype ». La seule chose qu’ils sont en mesure de faire est de suivre le Christ, leur modèle, en tant qu’hommes libres et judicieux. Par conséquent, ils ne doivent pas renoncer à leurs traits individuels, ni à leur libre-arbitre.

 

Du visible à l’invisible dans l’interprétation du personnage de Vivien

À part Guillaume, le protagoniste du récit, le preux qui se rapproche le plus du Modèle divin de tout chrétien et parvient à maintenir son regard fixé sur l’invisible (c’est-à-dire sur la gloire céleste qui l’attend) est sans doute Vivien. Élevé par le héros et son épouse Guibourc, il apparaît pour la première fois au vers 21 et jusqu’au vers 928, il occupe la place la plus importante dans le récit[21]. Or, dans le but de mieux comprendre son rôle dans l’épopée, il est à noter que la Chanson de Guillaume (telle que la présente le manuscrit de Londres) ne représente pas un ensemble homogène, mais se compose de deux parties qu’un grand nombre de critiques littéraires considèrent comme des remaniements de deux (ou plusieurs) versions distinctes de la légende épique de Guillaume d’Orange et de son neveu Vivien[22]. La première, appelée également G1, est plus cohérente et s’achève au vers 1980. Elle raconte les grands exploits de Vivien et de ses chevaliers livrant plusieurs batailles dramatiques contre Deramé, le roi païen qui a attaqué le territoire de la France. Tout d’abord, Vivien et ses preux frappent l’ennemi très hardiment ; cependant, au milieu du récit, la situation devient grave et Vivien subit le martyre.La bataille est ensuite reprise par Guillaume et à la fin de G1, le roi des Sarrasins est vaincu. La deuxième partie de la chanson, qu’on indique d’habitude comme G2, commence par la deuxième description de la mort de Vivien (qui ne cadre pas avec celle évoquée dans G1) et rapporte les circonstances de la victoire définitive que Guillaume et son beau-frère, Renouart, remportent contre les Sarrasins.

Il est vrai que Vivien n’est pas le seul combattant qui mérite les éloges du narrateur et dont les hauts faits influencent de manière considérable le cours de la bataille. Or, étant donné que Guillaume, le personnage principal de la geste et l’« ancêtre épique »[23], est physiquement absent dans la première partie du texte et ne se présente qu’au vers 933, Vivien représente, à la différence des autres « héros secondaires » de l’épopée, un chevalier solitaire et exceptionnel qui est obligé d’assumer la pleine responsabilité du résultat de la bataille. Les circonstances le forcent non pas à être le compagnon de Guillaume (comme le sont les autres grands chevaliers qui apparaissent dans la geste), mais à suppléer intégralement le rôle du protagoniste. Pour ces raisons-là, parmi tous les héros « auxiliaires », Vivien est celui qui atteint le plus haut degré de perfection chrétienne : il suit le Christ, son Maître, jusqu’à la mort. Chaque parole qu’il prononce et chaque acte qu’il accomplit témoignent de l’unité profonde qui existe entre lui et le Christ : son Imitatio Christi est si ferme qu’il réussit à vivre et à agir cœur à cœur avec l’Éternel. Bien entendu, ceci n’implique pas que son cheminement soit dépourvu de toute épreuve et de toute souffrance : pour que son imitation du Christ soit systématique et fructueuse, il faut qu’il soit tenté et qu’il (de même que son Maître et Modèle) endure, dans le sens symbolique, la Croix. Mais malgré les misères auxquelles il doit faire face, son esprit reste stable et droit, peu importe le sérieux de la situation. Pour mettre en avant sa persévérance, sa maturité et son unité profonde avec Dieu, le remanieur du texte le laisse affronter une grande tentation « biblique ».

Avant d’accomplir sa mission sur terre, le héros est tenté de trahir le vœu qu’il a fait à Dieu et de fuir le combat. Après que Girard, son compagnon de guerre, l’abandonne pour appeler Guillaume à l’aide, la situation sur le champ de bataille devient critique : tous les chevaliers français meurent à la guerre et Vivien reste seul contre les lignes ennemies. Le héros est bien conscient du fait que sa mort approche, à moins qu’il n’opte pour la fuite. La situation qui se produit avant l’agonie du héros sur Larchamp est visiblement analogue à celle évoquée dans l’Évangile selon Saint Luc (et, d’une manière semblable, également dans les autres Évangiles synoptiques) où Jésus, peu avant sa Passion, prie dans le jardin de Gethsémani[24] : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! »[25].

Dans la laisse LXVIII de l’édition de François Suard, Vivien est confronté d’une façon semblable à ce sentiment de mort imminente. Étant pris de peur et d’angoisse, il adresse à Dieu son Père et à la Vierge Marie les prières comparables à celles de son Modèle divin :

 

« Sainte Marie, mere genitriz, / Si verreiement cum Deus portas a fiz, /Garisez mei, pur ta sainte merci, /Que ne m’ocient cist felon Sarazin. » /Quant l’out dit, li bers se repentid : /

« Mult pensai ore que fols e que brixs, /

Que mun cors quidai de la mort garir, /

Quant Dampnedeu meïmes nel fist, /

Que pur nus mort en sainte croiz soffri, /

« Sainte Marie, mère de Dieu, aussi vrai que tu as porté comme ton fils Dieu lui-même, aie pitié de moi par ta grâce sainte : que les Sarrasins cruels ne me fassent pas périr ! »Mais à peine eut-il parlé ainsi que le preux se repent :« J’ai parlé comme un fou et comme un gredin, lorsque j’ai imaginé de protéger

 

Pur nus raïndre de noz mortels enemis. / Respit de mort, sire, ne te dei jo rover, / Car a tei meïsme ne la voilsis pardoner. »(vers 813-824) ma vie alors que le Seigneur Dieu lui-même n’a pas agi ainsi et a enduré pour nous la mort sur la Croix sainte, afin de nous arracher aux ennemis d’enfer. Seigneur, je ne dois pas te demander de retarder ma mort, puisque tu n’as pas voulu t’épargner toi-même. »(La Chanson de Guillaume. Op. cit., pp. 136-137)

 

Comme le montre le passage cité, même dans une situation qui paraît complètement désespérée, Vivien reste ferme dans sa foi et fidèle à son Maître. À bon escient, il prend la décision d’imiter son Modèle jusqu’au bout et par son martyre, il se révèle digne d’appartenir au lignage de Guillaume, d’être désigné comme le premier grand héros de la Chanson de Guillaume et, surtout, d’entrer au Paradis. Sa victoire est une victoire morale, un véritable triomphe de la persévérance et de la fidélité. D’ailleurs, par sa mort héroïque, il atteint le but principal de sa vie de guerrier et de chrétien : être semblable au Christ. Il devient saint au sens propre du mot et au moment où Guillaume, son oncle, le trouve expirant, « plus suef fleereit que nule espece ne piment (vers 1992) »[26], en traduction de F. Suard : « il répand un parfum plus pur que nulle épice ou nul piment »[27], ce qui implique qu’aux yeux de son Dieu, son sacrifice était plus odorant que tous les actes héroïques qu’il avait accomplis auparavant[28]. En effet, parmi tous les héros de la geste, Vivien est le seul auquel s’appliquent parfaitement les paroles de saint Pierre Chrysologue sur le sacrifice spirituel : « [Les] martyrs naissent en mourant, commencent leur vie lorsqu’ils la finissent, vivent par leur mise à mort, et brillent dans le ciel alors que sur la terre on croyait à leur extinction »[29].

Il faut convenir que le récit de Vivien, ainsi que le parallélisme et les analogies (visibles ou cachées) dont il est doté, orientent souvent le lecteur vers un monde invisible et transcendantal. Les tableaux hagiographiques de la vie de Vivien représentent à tous égards un texte souverainement christocentrique : l’union avec le Christ, la vie céleste et le souci des choses (partiellement) invisibles sont maintes fois mis à l’avant-plan du poème. Pour rendre les enjeux de la geste de Vivien plus saisissants et pour visualiser les rapports entre nos réflexions et la dialectique du visible et de l’invisible, le tableau suivant résumera le contenu de la dernière partie de cette analyse :

 

L’interprétation du personnage de Vivien
Les éléments textuels visibles L’interprétation de ces élémentsqui vise l’invisible
la tentation biblique – le parallélisme avec les prières dans le jardin de Gethsémani la fidélité à la promesse et l’imitationde Jésus-Christ jusqu’à la mort
le parfum « l’odeur » de son sacrificeaux yeux de Dieu

 

 

Il est de fait que la Chanson de Guillaume représente une œuvre pourvue de nombreuses références aux Saintes Écritures et d’un profond mysticisme[30]. Or, le plan invisible du texte de la geste en question est trop complexe dans ses rapports avec le monde transcendantal et peu sensible au mythe au sens propre du terme. En disant cela, on ne nie pas la possibilité d’une interprétation visant l’invisible et le transcendantal ; d’ailleurs, la dernière partie de l’analyse relève d’une telle interprétation. Pourtant, en effectuant ce genre d’« explication », les éléments visibles qui constituent le fondement de toute exégèse (à savoir l’intertextualité, la réalité historique de l’époque et la manière dont les personnages du récit sont conçus) nous font quitter le cadre de la mythologie, c’est-à-dire d’un invisible « réfléchi », et entrer dans un monde théologique, dans un invisible « contemplé et vécu ». Il est vrai que notre interprétation a gardé le schéma fondamental présenté dans le Mythe de l’éternel retour (c’est-à-dire l’idée de la répétition ou de l’imitation d’un certain modèle). Toutefois, il faut avouer que dans le contexte de la littérature médiévale, ce squelette nous mène trop loin des procédés mythocritiques proposés par Mircea Eliade. Il se peut que ce soit la conséquence du fait que la Chanson de Guillaume travaille non pas avec le mythe littéraire tel que le comprend la mythocritique[31], mais avec ce que C. S. Lewis appelle le « true myth »[32].

 

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Ján Živčák
Université de Prešov
Faculté des Lettres
Institut d’Études romanes
novembra č. 1
080 01 Prešov
janzivcak@gmail.com


[1]  This publication is the result of the project implementation: Retrofitting and Extension of the Center of Excellence for Linguaculturology, Translation and Interpreting supported by the Research & Development Operational Programme funded by the ERDF.
[2]  Cf. BRUNEL, P. : Mythocritique : Théorie et parcours. Paris : PUF, 1992.
[3]  Ibid.
[4]  ELIADE, M. : Le mythe de l’éternel retour. Paris : Gallimard, 1969.
[5]  Cf. SELLIER, P. : Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? In : Littérature n. 55. Paris : Larousse, 1984, pp. 112-126.
[6]  DRENGUBIAK, J. : Richard Millet, du personnel vers l’universel. Prešov : Filozofická fakulta Prešovskej univerzity v Prešove, 2012, pp. 134-136.
[7]  ELIADE, M. : Op. cit., pp. 48-64.
[8]  Ibid., p. 48.
[9]  Ibid., p. 49.
[10]  Pour plus de détails, notamment dans le contexte des légendes de Guillaume d’Orange, voir BÉDIER, J. : Les légendes épiques : Recherches sur la formation des chansons de geste. Tome I. Paris : Champion, 1914.
[11]  Cf. JAKOBSON, R. : Selected Writings. Volume 4 : Slavic Epic Studies. Berlin : Mouton De Gruyter, 1966.
[12]  Pour des exemples concrets, voir SUARD, F. : Introduction. In : La Chanson de Guillaume. Texte établi, traduit et annoté par F. Suard. Paris : Le livre de poche, 2008, pp. 9-61 (pour tous les héros de la Chanson de Guillaume) ; ainsi que MOISAN, A. : Face à la violence, Vivien le martyr : thème et variations. In : La violence dans le monde médiéval [En ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 1994. Disponible en ligne : http://books.openedition.org/pup/3164 [consulté le 11/12/2014] (pour le personnage de Vivien qui sera abordé plus tard dans notre étude).
13]  Plusieurs arguments dans ce paragraphe sont tirés du livre de Thomas E. Woods qu’on recommande à ceux qui souhaiteraient avoir un contexte plus large. Cf. WOODS, T. E. Jr. : How the Catholic Church Built Western Civilization. Washington, D.C. : Regnery Publishing, 2012.
[14]  Pour les formes de « prouesse mythique » évoquées à cet endroit du texte, voir ELIADE, M. : Op. cit., pp. 52-58. Le fait que les héros de la plupart des chansons de geste (à l’exception de quelques gestes tardives), contrairement aux protagonistes des épopées populaires évoqués par Mircea Eliade, n’effectuent pas de prouesses mythiques à saveur fantastique pourrait être raisonné également par le caractère « quasi vrai » de la matière épique. Il est à noter que plusieurs chansons de geste commencent par un prologue attestant la crédibilité de l’histoire présentée. Parmi de nombreux exemples, on peut citer les vers 5-7 de l’incipit d’Ami et Amile, une chanson de geste du XIIIe siècle :

« Ce n’es pas able que dire voz volons,
Anso’z est voirs autressi com sermon ;
Car plusors gens à tesmoing en traionz… » (Amis et Amiles und Jourdains de Blaivies. Édition de Konrad Hofmann. Erlangen : Andreas Deichert, 1882, p. 1).
15]  Ibid., p. 58.
[16]  La Bible de Jérusalem. Paris : Éditions du Cerf, 2003, p. 1631 (Habaquq 3 : 8-9, 13-15).
[17]  Cf. La Chanson de Guillaume. Texte établi, traduit et annoté par F. Suard. Paris : Le livre de poche, 2008, p. 77.
[18]  Pour plus d’informations sur les formes de cette pratique chrétienne au Moyen Âge, voir A KEMPIS, T. : LImitation de Jésus-Christ. Traduction française de Félicité de Lamennais. Paris : Éditions du Cerf, 2011.
[19]  Catéchisme de lEglise catholique [En ligne]. Paragraphe N°520. Disponible sur : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P1I.HTM [consulté le 12/05/2014].
[20]  Il est vrai que les principes qui gèrent la société dans le monde réel ne doivent pas être applicables (et généralement ne le sont pas) aux univers fictionnels des œuvres littéraires. Cependant, dans la Chanson de Guillaume – vu que le cycle de Guillaume d’Orange puise une part de son inspiration dans la Vita sancti Wilhelmi, une hagiographie rédigée vers 1125/1130 – la mimèsis de la vie spirituelle des personnes réelles nous semble tellement exacte qu’on considère, à cet effet, méthodologiquement possible de rapprocher l’imitation du Christ des héros épiques du concept d’Imitatio Christi tel que le présentent les traités théologiques et le Catéchisme. Pour plus d’informations sur les liens entre la Vita sancti Wilhelmi et la geste de Guillaume d’Orange, voir BÉDIER, J. : Op. cit.
[21]  Pour plus d’informations sur la figure de Vivien, voir SUARD, F. : Introduction. In : Op. cit., pp. 37-53.
[22]  Ce commentaire et les commentaires suivants reprennent et résument plusieurs idées de François Suard et de ses devanciers. Pour plus de détails, voir SUARD, F. : Introduction. In : Op. cit. ; ainsi que les notes qui accompagnent son édition de la Chanson de Guillaume.
[23]  Ibid., p. 52.
[24]  Cette parallèle est mentionnée également par Phillip Bennett. Cf. BENNETT, P. E. : Carnaval héroïque et écriture cyclique dans la Geste de Guillaume dOrange. Paris : Champion, 2006.
[25]  La Bible de Jérusalem. Op. cit., Évangile selon Saint Luc, 22 : 42.
[26]  Ibid., p. 214.
[27]  Ibid., p. 215.
[28]  Surtout dans la tradition de l’Église orthodoxe, le parfum répandu par le corps d’une personne martyrisée représente un signe de sainteté. Voir par exemple RAYMOND, J. : Les églises byzantines des saints militaires (Constantinople et banlieue) (Suite) [En ligne]. In : Échos d’Orient, 1934, tome 33, n°175, pp. 331-342. Disponible sur : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1934_num_33_175_2801 [consulté le 13/05/2014].
[29]  CHRYSOLOGUE, P. (saint) : Homélie de saint Pierre Chrysologue sur le sacrifice spirituel (Sermo 108 : PL 52, 499-500). In : Liturgie des Heures – Office des Lectures [En ligne]. Mardi, 4ème Semaine du Temps Paschal. Disponible sur : http://www.aelf.org/office-lectures?date_my=13/05/2014 [consulté le 13/05/2014].
[30]  Dans ce commentaire, on emploie le terme « mysticisme » dans le sens qui lui a été attribué par la tradition mystique de l’Occident chrétien. Les grands mystiques de l’Église occidentale (notamment St. Jean de la Croix) concevaient le mysticisme comme une forme de pénétration dans les secrets divins et comme un état d’unité extrêmement profonde avec Dieu. À cet égard, l’existence épique de Vivien est littéralement « remplie » de mysticisme : comme évoqué dans le texte, en toute occasion, il agit un cœur à cœur avec le Christ, et pénètre dans le mystère de la Passion à tel point qu’il accepte volontiers de devenir martyr. Pour plus d’informations sur le mysticisme chrétien, voir STINISSEN, W. : La nuit comme le jour illumine. La nuit obscure chez Jean de la Croix. Toulouse : Éditions du Carmel, 2005.
[31]  Cf. SELLIER, P. : Art. cit.
[32]  LEWIS, C. S. : The Collected Letters of C. S. Lewis. Volume 2. Lettre à Arthur Greeves du 18 octobre 1931. London : HarperCollins, 2004.